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la plus belle femme de son temps, mais moins célèbre par sa beauté que par l’usage qu’elle en fit. » En face de Mme d’Olonne se présente la plus noirement diffamée de toutes les héroïnes sur lesquelles s’est fixé le regard diaboliquement pointu de ce jettatore de Bussy : « Isabelle de Montmorency, duchesse de Châtillon, à laquelle on ne pouvait refuser ni sa bourse, ni son cœur, mais qui ne faisait pas cas de la bagatelle. » Cette devise d’un tour passablement gaulois, jointe à l’examen attentif du portrait, nous permet de résoudre un doute qui s’est souvent élevé dans notre esprit, et que plus d’un lecteur probablement aura conçu comme nous.

En somme, quel est le degré de culpabilité de Bussy? Est-ce un impertinent ou un menteur, un simple médisant ou un calomniateur? A notre avis, Bussy est assez chargé devant la postérité pour qu’il ne soit pas juste de dire que malheureusement ses commérages portent la marque de la vérité. Diffamateur sans circonstances atténuantes, oui, — calomniateur, non: ce portrait de la duchesse nous en fournit par induction une preuve presque certaine. Je lis la devise qui est au bas, et puis je regarde l’image physique de la personne qu’elle caractérise si singulièrement; c’est un adorable visage, de mignons traits d’enfant, un air naïf avec de la froideur, ou, pour être plus exact, de la chasteté dans la physionomie. Ainsi la devise et le portrait concordent déjà parfaitement : ce que Bussy appelle dans son effronté langage gaulois « ne pas faire cas de la bagatelle» pourrait s’appeler chasteté en langage plus discret; du propre aveu de Bussy, la duchesse de Châtillon méritait donc dépasser pour une personne chaste; mais alors, vous écriez-vous, il l’a calomniée horriblement dans cette seconde partie de l’Histoire amoureuse des Gaules, crescendo de scandales devant lesquels s’effacent et disparaissent comme d’inoffensives peccadilles et presque comme d’avouables gaîtés les aventures de la première héroïne. De la chasteté chez cette personne en regard de laquelle Mme d’Olonne apparaît comme une excusable étourdie ! de la chasteté avec cette interminable procession d’amans, procession qui parfois se transforme en attroupemens : le duc de Nemours, le prince de Condé, le maréchal d’Hocquincourt, l’abbé Fouquet, milord Craft, milord Digby, Cambiac, Vineuil, on se fatigue à les compter ! Eh bien ! le récit de l’Histoire amoureuse où la duchesse de Châtillon est si cruellement chargée ne dément ni l’affirmation du portrait ni le jugement de la devise. Du récit de Bussy, il ressort très clairement que toutes les aventures galantes de la duchesse eurent leur source dans la difficulté des circonstances que la destinée lui fit à un certain moment de sa vie. Pour se défendre contre ces circonstances, elle eut recours à ces armes que sa grande beauté devait lui faire croire invincibles, la