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de quarante-un ans sonnés, lieutenant-général et mestre de camp de la cavalerie légère du roi, commit l’insigne étourderie d’arranger, en compagnie de jeunes fous qui avaient au moins pour eux l’excuse de l’âge, une coupable partie de débauche où l’impiété faisait l’assaisonnement du libertinage. Cette incartade fit le bruit qu’elle méritait de faire, et l’exil s’ensuivit. A-t-il été vraiment chanté à cette orgie une chanson où Louis XIV était tourné en dérision? Le fait a été révoqué en doute et nié par Bussy lui-même; mais il importe vraiment bien peu. Bussy nous a fait lui-même dans l’Histoire amoureuse le récit de l’orgie de Roissy; ce qu’il avoue suffit amplement pour justifier la sévérité du roi. Cependant ce scandale est pardonné, et après une courte disgrâce de moins d’un an Bussy est autorisé à reparaître à la cour. Or à quoi avait-il employé le temps pendant l’expiation de cette incartade? à en commettre une nouvelle, moins coupable peut-être que la première, mais qui fut plus grave en résultats. C’est pendant cet exil d’un an qu’il écrivit pour le divertissement de sa maîtresse. Mme de Montglas, ce chef-d’œuvre de la méchanceté polie qui a nom Histoire amoureuse des Gaules. L’existence de ce pamphlet fut bientôt connus, grâce à cette faiblesse du caractère féminin que La Fontaine a si bien décrite dans sa fable les Femmes et le secret ; les amies et les ennemies de Bussy en furent curieuses; le spirituel étourdi en fit des lectures intimes, le manuscrit en fut prêté, déloyalement retenu, perfidement copié, et cet écrit, passant de main en main, alla soulever la fureur, le ressentiment et le désir de la vengeance chez toutes les personnes nommées. Comme la plupart de ceux qui étaient atteints se trouvaient fort près du trône, l’orage monta jusqu’au roi, qui cette fois frappa cruellement et pour toujours. Un emprisonnement d’une année à la Bastille, un exil de vingt années en Bourgogne et la perte de ses charges furent la dure punition d’un des plus malicieux, mais des plus spirituels attentats qui aient jamais été dirigés contre la plus belle et bien réellement, au moins s’il faut en croire Bussy, la plus fragile moitié du genre humain.

Relégué en Bourgogne, Bussy, pour passer le temps, appela auprès de lui des artistes de second et même de troisième ordre, et s’amusa à leur faire couvrir d’emblèmes et de portraits toutes les murailles et toutes les boiseries de son château. Ces peintures sont de simples barbouillages pour la plupart, mais ces barbouillages sont singulièrement précieux aujourd’hui, car ils composent une autobiographie morale des plus curieuses. Les véritables Mémoires de Bussy, ce sont non pas les pages sèches écrites en style de procès-verbal qu’il a décorées de ce nom, mais bien les peintures du château de Bussy. Le père Bouhours, l’ingénieux jésuite, qui fut au nombre