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cadémie française, sa réception fut une des meilleures bouffonneries que nous ait transmises l’ancien régime, bouffonnerie voilée bien entendu, et telle qu’on pouvait se la permettre avec un homme de cette qualité, mais d’autant plus acérée qu’elle était plus fine et discrète. Son récipiendaire, l’abbé de Caumartin, lui décerna le plus adroitement du monde le genre d’apothéose que semblaient ambitionner ses préoccupations habituelles, en le louant comme un homme pour lequel la mesure de toute louange serait trop courte. Le monde goûta fort la plaisanterie, que l’évêque accepta naïvement comme l’expression de ce qui lui était dû, mais non pas Louis XIV, qui, avec un bon sens tout royal, ne pardonna pas à l’abbé de Caumartin d’avoir manqué au respect que mérite la vertu même ridicule. Le portrait du château d’Ancy ne dément pas trop, il faut le dire, la réputation que s’est acquise le prélat. Le visage sombre, taciturne, est bien celui d’un homme retiré en lui-même, intérieurement obsédé, qui ne voit rien de ce qui se passe, et n’entend rien de ce qui se dit autour de lui. Bien différent est le portrait du second prélat, celui-là évêque de Langres. C’est un ravissant jeune homme, de physionomie aussi éveillée que celle de son oncle est taciturne, avec un teint d’une suavité d’incarnat indicible, en un mot une véritable fleur de chair et de sang. En contemplant ce prélat plus gracieusement grassouillet que ne le fut jamais le gentil roi Pantagruel à son aurore, il m’est passé par l’esprit une singulière pensée. Est-il bien réellement chrétien d’être aussi joli que cela? Et à supposer que le christianisme ne condamne pas un tel degré de grâce, est-il permis de porter dans ses rangs une beauté pareille? Répondre à ces questions serait peut-être téméraire; ce qui est sûr, c’est que le renoncement au monde ne se présenta jamais sous une forme plus aimable et plus souriante.


III. — LE CHATEAU DE BUSSY-RABUTIN.

Si jamais demeure a été le miroir fidèle de son propriétaire, c’est bien le château de Bussy. On peut dire sans paradoxe qu’on ne connaît réellement le célèbre auteur de l’Histoire amoureuse des Gaules qu’après avoir visité ce château, qu’il a rempli, pour se distraire des ennuis de l’exil, des images de sa personnalité; mais alors on le connaît à fond, sa nature est percée à jour, et sa destinée reste sans mystère.

Cette destinée est étrange et mérite l’attention du moraliste en ce qu’elle repose sur un accident de psychologie qui est, je crois, à peu près unique. J’entre d’emblée dans le cœur de mon sujet, et me demande : qu’est-ce que Bussy? Un honnête homme? Non certes,