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comme un clément des beaux-arts; la cathédrale de Semur est une excellente preuve à l’appui de la thèse de l’essayiste.

La cathédrale de Semur est la plus mince, la plus fluette, la plus svelte des églises gothiques, et elle doit cette originalité à une inégalité remarquable entre ses dimensions. La nef, longue de 80 pieds, n’en mesure que 20 de largeur. Ainsi rapprochées et comme resserrées par cette étroitesse, les deux rangées de colonnes ne s’en élancent vers la voûte que d’un vol plus hardi et plus léger. Je ne saurais mieux faire comprendre l’effet de sveltesse qui résulte de cette disproportion qu’en rappelant avec quelle élasticité s’élance une colonne d’eau lorsque son volume se trouve comprimé trop étroitement entre deux parois rapprochées. L’abside, aussi imposante que la nef est svelte, est formée par une rangée circulaire de colonnes énormes en granit rougeâtre dont les chapiteaux sont ornés de vigoureux feuillages exotiques pareils à ceux des plantes tropicales; ces colonnes robustes que l’on rencontre fréquemment en Bourgogne, qui forment la nef même de Notre-Dame de Dijon, semblent comme une importation d’un autre culte et d’un autre climat, et ont l’air d’avoir été taillées pour un temple égyptien consacré à Isis ou à Sérapis comme ces colonnes de Sainte-Marie au Transtévère et de Sainte-Croix de Jérusalem à Rome, dont elles réveillent le souvenir. Même pour ceux qui ont vu beaucoup d’églises, le contraste de cette abside vigoureuse et de cette nef fluette produit une sensation de nouveauté singulière.

C’est cette église d’origine si foncièrement féodale dont la décoration est presque entièrement démocratique. Sculptures, vitraux, tableaux, chapelles, attestent que de génération en génération le même esprit s’est transmis à Semur : tout cela est sorti de mains plébéiennes, a été créé par des libéralités plébéiennes, ou porte la marque de pensées plébéiennes. L’astronomie par exemple tient sa place dans ces encyclopédies de pierre qui s’appellent des cathédrales, et il n’est pas rare d’y rencontrer les signes du zodiaque mêlés avec les sujets sacrés. Cette astronomie n’est pas absente de la cathédrale de Semur; mais, au lieu d’être exprimée d’une manière scientifique ou symbolique, elle est exprimée d’une manière réaliste et populaire. Autour des sculptures qui représentent le meurtre de Dalmace, l’artiste a disposé douze petits sujets relatifs aux douze mois, ou plutôt aux occupations agricoles des douze mois de l’année, et parmi ces occupations agricoles il a choisi de préférence celles qui sont plus particulièrement chères au peuple de Bourgogne, les divers travaux de la vigne. Au beau milieu d’une des colonnes de ce même portail, un caprice de l’artiste a sculpté sur la surface parfaitement lisse une arabesque inutile. Or que repré-