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Münster toute son action. Loin de songer à revenir aux principes du luthéranisme, il se détachait définitivement de la doctrine de Zwingli, qui avait eu ses préférences, et se jetait dans le courant de nouveautés introduites par les prédicateurs que Münster avait éloignés. Il finit par déclarer hautement que le baptême des enfans était chose abominable devant Dieu, et avança d’autres propositions qui respiraient le plus pur anabaptisme. Sa défection du camp des sacramentaires devenait manifeste malgré les ambages dont il s’efforçait encore de la couvrir. Ses anciens amis de Strasbourg en furent informés, et le sommèrent de s’expliquer. Bucer le mit en demeure de retirer ses assertions téméraires ou de renoncer à tout commerce avec lui; mais l’ancien chapelain de Saint-Maurice n’avait nulle intention de se rétracter, sa détermination était irrévocable. Les anabaptistes devenaient désormais ses alliés, et au moment où le savant théologien de Schelestadt lui envoyait sa catégorique injonction, la nouvelle se répandait à Strasbourg, chez les disciples de Hoffmann, que le célèbre réformateur de Münster venait de se déclarer pour eux, qu’il lisait, qu’il admirait les livres de leur maître, que leur doctrine était prêchée dans la cité westphalienne, appelée à devenir la nouvelle Sion d’où la lumière se répandrait sur toute la terre. Cette lumière était celle d’une torche jetée encore une fois dans les pays du Rhin, et qui y allumerait, non plus comme en 1525 un vaste incendie, mais un effroyable brasier.


IV.

Le parti ultra-radical rencontrait enfin une ville où il pourrait librement appliquer ses principes et tenter de refaire la société sur le modèle qu’il avait préparé dans les petites communautés anabaptistes. Münster allait s’offrir aux adeptes des croyances écloses dans la Suisse et la Thuringe comme la Jérusalem céleste où le Christ établirait son règne de mille ans. Après s’y être introduits à la dérobée, y avoir trouvé un asile contre la persécution, les sectaires, abusant de cette hospitalité, travaillèrent à s’en rendre maîtres; ils proscrivirent, une fois qu’ils y furent parvenus, leurs hôtes trop confians. Tant qu’ils se sentaient les plus faibles, ils ne réclamaient que le droit de vivre et ne sollicitaient que la liberté de se réunir pour servir Dieu selon leur conscience. Lorsqu’ils furent devenus les plus forts, ils aspirèrent à la domination, et ne souffrirent aucune opposition à leurs plans et à leurs idées, aucune résistance à leurs folles entreprises. Le but auquel ils tendaient, ce n’était que peu à peu qu’ils l’avaient laissé apercevoir. Pour ne point éveiller la défiance, ils avaient au début dissimulé leurs visées, désavouant