Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 101.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
8
REVUE DES DEUX MONDES.

esprit faut-il donc avoir pour se réjouir des désastres de la patrie ? Les Anglais me font des avances et des gracieusetés infinies ; je n’ose m’y livrer. Je ne puis plus détacher ma pensée de la France : je ne savais pas ce que c’est qu’une révolution, tout en est ébranlé. Comment ! le roi et M. Guizot avaient vu la révolution de juillet, et ils ont pu mener leur barque avec tant de maladresse ? J’en reste stupéfait. L’expérience ne sert à rien, qu’à faire faire plus de sottises. Je ne vois pas le nom de M. de La Grange à l’assemblée nationale ; je suis inquiet de sa santé. Ce sont de rudes coups que ceux qu’on reçoit ainsi, qui menacent votre existence, et le passé et l’avenir. Les esprits doivent être dans un vague alarmant. J’espère pour vous, pour M. de La Grange, pour M. le duc de La Force, que vous aurez passé tout l’été à la campagne, ne vous occupant que le moins possible de tout ce bouleversement social. J’ai bien vu votre nom dans des réunions de bienfaisance, mais toute cette charité n’est plus bonne à rien. C’est les armes à la main que doit maintenant se décider le sort de la patrie ; priez Dieu pour nous, et aux armes ! Je vous dépose ici tous mes souvenirs ; ne m’oubliez pas !


À bord de la Reine-Blanche, le 3 octobre 1848.
Rade de Bombay.

Je vous ai prévenue que je resterais ici jusqu’au 24 novembre pour recevoir la réponse à mes lettres du 15 septembre dernier. Je ne sais absolument rien sur moi ni sur ma frégate. C’est une chose surprenante que les journaux français ne renferment rien qui nous soit relatif. La chaleur est très grande en ce moment ; nous avons une quinzaine de jours encore de ces temps lourds à supporter, puis viendra ce qu’on appelle le renversement de la mousson, et le temps sera plus frais. Nous employons nos heures à lire vos journaux, nous nous efforçons de comprendre le passé et le présent et de deviner l’avenir. Cependant nous sommes enchantés d’être venus à Bombay chercher des nouvelles. À Bourbon, nous étions comme étouffés dans une ignorance absolue et n’ayant pour alimenter nos opinions politiques que des bruits plus ou moins absurdes, plus ou moins atroces. Ici nous avons des communications constantes avec la France : tous les quinze jours nous arrivent des liasses de journaux qui n’ont que vingt-huit ou trente jours de date ; nous avons pour ainsi dire le doigt sur le pouls de la France. Au moins je puis prendre une résolution aujourd’hui en connaissance de cause. L’avenir de la marine ne nous semble pas beau ; la grandeur de la marine repose sur la grandeur des finances, c’est purement et simplement une question d’argent. Or, à la manière dont l’assemblée nationale manie le crédit et les finances de notre pays, je prévois que