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suite des défaites de la France. Tout se réunissait à un moment donné pour favoriser cette crise dans les affaires de l’empire ottoman. La France ne pouvait plus rien ; l’Angleterre, n’ayant plus auprès d’elle son ancienne alliée, venait de montrer son impuissance en livrant les traités qui avaient été le prix de la guerre de Crimée ; l’Autriche était réduite à un rôle d’observation. Au même instant, par une fatalité de plus, Aali-Pacha, le dernier homme d’état de la Turquie demeuré fidèle malgré tout à la politique occidentale, succombait sous le poids du travail et des fatigues. C’est alors, à l’automne de 1871, que la direction des affaires de l’empire passait subitement aux mains de Mahmoud-Pacha, qui jusque-là n’avait marqué par aucune supériorité, qui n’avait été qu’un gouverneur de Tripoli fort équivoque, un ministre de la marine assez obscur, et qui se trouvait appelé par un hasard de la faveur du sultan à recueillir l’héritage d’Aali-Pacha. Le général Ignatief, ambassadeur de Russie, aidait, dit-on, à son avènement, comptant sans doute le retenir sous son influence ; peut-être aussi le sultan Abdul-Aziz pensait-il trouver dans son nouveau grand-vizir un instrument tout prêt à exécuter le dessein qu’on lui a prêté plus d’une fois de changer l’ordre de succession à la couronne dans l’intérêt de son fils. Toujours est-il que Mahmoud-Pacha arrivait au pouvoir un peu comme un intrus ; il y portait une certaine énergie, une extrême passion d’arbitraire, peu d’instruction, une antipathie prononcée contre tout ce qui s’appelle progrès occidental, et le fait est que son ministère de dix mois n’a été qu’une longue réaction contre toutes les idées de ses prédécesseurs.

La prétention de Mahmoud-Pacha était de gouverner à la turque, et sous plus d’un rapport il a certainement réussi. Ce qu’on avait fait avant lui, il se plaisait à le défaire. C’est ainsi qu’il renvoyait les ingénieurs européens appelés à Constantinople, les professeurs étrangers du lycée de Galata-Seraï, créé par les soins d’Aali-Pacha. Sous prétexte d’économie, il bouleversait l’organisation de l’empire, et assurément un des plus curieux spécimens de son génie administratif, une des inventions les plus imprévues et les plus bizarres, c’est le subterfuge qu’il a imaginé pour réduire les traitemens des employés. Il a créé un calendrier à l’usage du gouvernement, il a réduit les douze mois de l’année à neuf mois, de telle sorte que les malheureux employés ont d’un seul coup perdu trois mois d’appointemens : procédé aussi simple qu’ingénieux pour restaurer les finances du pays ! Il est vrai que ce qu’on épargnait sur de modestes employés passait au grand-vizir et à ses créatures. Mahmoud-Pacha s’est servi de deux moyens pour prolonger sa faveur le plus longtemps possible : il a flatté le sultan dans ses idées préférées, dans ses goûts de prodigalité, et il a eu le Soin d’éloigner tous ceux qui auraient pu lui porter ombrage. Dès son avènement, il frappait ou il exilait dans des emplois lointains tous les hommes distingués qui avaient servi les administrations précédentes, l’ancien ministre de la guerre