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LA CORDE À FEU

INCIDENT DE LA VIE DE MER.


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Il y avait une fois… Pour abréger, mesdames et messieurs, je vais vous dire tout simplement comment j’ai failli perdre la vie grâce à une mèche et à une chandelle. Les choses se sont passées ainsi.

Je n’étais pas plus grand qu’une canne lorsqu’on me mit en apprentissage sur mer, et je fis assez bon usage de mon temps pour mériter de passer second dès l’âge de vingt-cinq ans. Ce fut l’an 1818 ou 19, je ne sais plus lequel au juste, que j’atteignis l’âge que j’ai dit. Vous voudrez bien m’excuser si je n’ai pas la mémoire des dates, des noms, des chiffres, des lieux… Je n’en manquerai pas, soyez tranquilles, pour les détails que je vais vous raconter : ils sont tous bien orientés dans ma tête, je les vois en ce moment clairs comme le jour ; mais un brouillard s’étend sur tout ce qui s’est passé auparavant, et un autre brouillard sur tout ce qui est survenu depuis, et il n’est pas probable qu’aucun de ces brouillards-là se dissipe à l’âge que j’ai.

Donc en 1818 ou 19, quand notre partie du monde jouissait de la paix, — il était temps ! me direz-vous, — on se chamaillait à grand fracas sur ce vieux champ de combat que, nous autres marins, nous connaissons sous le nom de continent espagnol[1]. Les possessions des Espagnols dans l’Amérique du Sud s’étaient révoltées et déclarées indépendantes des années auparavant. Le carnage, les massacres ne firent pas défaut entre le nouveau gouvernement et l’ancien ; mais le nouveau l’avait emporté la plupart du temps sous un général Bolivar, fameux dans son temps, quoiqu’il semble s’être

  1. Spanish main.