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là, il s’arme lui-même pour le grand combat, de là il tire sans relâche le casque et la cuirasse, la lance et le bouclier, pour les élus. Le voyez-vous assis dans cette étroite chambre, compulsant, méditant, sa lampe de minuit projetant sur les textes épars une clarté que le voyageur attardé par la plaine de Bischofsroda prend de loin pour l’étoile de la montagne ? La Bible hébraïque est là ouverte devant lui. Le front appuyé sur sa main, il étudie, couve quelque verset obscur qu’il cherche à rendre intelligible au paysan, à l’ouvrier ; mais ce passage qu’il s’efforce à traduire pour tous dans la langue qu’on parle, cette lettre qu’il veut faire vivre, voilà que lui-même ne les comprend point : d’épaisses ténèbres couvrent le texte originel. Il presse les syllabes, désarticule les mots, prend à part les racines, qu’il interroge comme il ferait des esprits familiers : peine perdue ! l’obscurité se prolonge ; pas un rayon de sens ne perce à travers l’implacable nuit. Irrité, dédaigneux, il saisit la Vulgate, sa vieille ennemie jurée, la perfide confédérée de l’antéchrist, la Vulgate, ce diabolique répertoire d’abominations « intronisé dans le sanctuaire même par l’idolâtrie ! » Pensée humiliante, en être réduit à consulter un pareil document ! devoir appeler à son aide un si damnable auxiliaire ! Et le pire de tout, c’est que cette fois l’interprétation se trouve être plausible, — une interprétation à laquelle il faut nécessairement que le malin esprit ait travaillé, car elle ne dément ni la doctrine du purgatoire, ni l’intercession des saints, ni l’efficacité des prières pour les morts ! Qu’un suppôt de l’enfer ait dû forcer en ce sens le texte hébreu, la chose va de soi ; mais comprend-on qu’en dehors de ce sens arbitraire, damné, rien ne soit possible, et que pas plus l’allégorie que la cabale n’offre ici le moindre recours ! Enchantement, sorcellerie, piège tendu à sa foi, brouillard magique interposé entre la vérité de la lettre sacrée et les yeux de son entendement par la fureur du mauvais ange ! S’avouera-t-il vaincu, scellera-t-il du nom de Luther une exégèse faite pour devenir une arme aux mains de la hiérarchie idolâtre ? Jamais ! jamais ! Un auxiliaire lui reste : la version des Septante. Les Grecs d’Alexandrie, antérieurs à l’église elle-même, n’ont pu ni subir l’influence de sa corruption, ni profaner l’autel de la vérité d’un encens exclusivement destiné à réjouir les narines de l’évêque universel. Cette fois encore son espoir l’a trompé. Ne dirait-on pas un fait fait exprès ? Justement, à ce passage énigmatique, il semble que le traducteur alexandrin ait donné congé à son intellect et laissé sa plume courir l’école buissonnière. 0 Luther honoré, docteur et glossateur intrépide, aussi aisément auriez-vous pu convertir Rome entière, y compris le pape et le sacré-collège, qu’extraire de la