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qui laisse à peine entrevoir le très réel talent de M. Noël. Il est plus aisé de s’en convaincre en regardant son beau bas-relief intitulé la Morte. Le corps inanimé, étendu tout de son long, est vraiment d’un beau style et d’une grande ampleur de lignes. La tête, affaissée sur la poitrine, est pleine de sentiment, de simplicité calme. Les jambes surtout sont d’un modèle admirable. Il n’en est pas de même de la vieille femme agenouillée qui entoure de ses vieux bras noueux et décharnés le corps jeune et charmant de la morte ; malgré ses gestes de désespoir, cette figure est d’une exécution beaucoup plus faible et d’un sentiment beaucoup moins profond. Il faut encore reprocher à ce groupe l’arrangement trop anguleux des grandes lignes extérieures, qui forment une sorte de parallélogramme régulier d’un fâcheux effet. Il faut louer en revanche l’habileté avec laquelle sont disposés les plans et traitées les valeurs du relief. Il y a là certaines qualités de premier ordre qui doivent faire pardonner bien des défauts.

Voyez maintenant comme les sujets se transforment en passant d’une main dans une autre ! M. Allouard a traité le même sujet que M. Noël, avec beaucoup moins de vigueur, mais avec beaucoup plus de goût. Sa Marguerite est folle, comme celle de M. Noël ; elle est échevelée, nue jusqu’à la ceinture, comme l’autre, et, comme elle aussi, elle joint les mains d’un geste d’accablement et de désespoir. A ne considérer que la pensée abstraite, ces deux statues devraient être rigoureusement semblables, et cependant il est impossible d’imaginer deux œuvres plus différentes. Ces deux Marguerites jouent peut-être le même rôle, mais elles ne sont pas de la même famille. L’une est une tragédienne à tous crins, une héroïne de mélodrame qui pousse des cris rauques et cherche des effets violens ; l’autre est encore, malgré sa faute, une ingénue, une pauvre fille abusée, étonnée de l’abîme où elle tombe, et racontant sa douleur sur le. ton plaintif de l’élégie. M. Noël n’a vu que la Marguerite affolée par le désespoir et la honte, celle que Méphistophélès tourmente et à qui ses remords ne laissent plus de repos. M. Allouard s’est souvenu que la pauvre prisonnière était encore la Marguerite du rouet, et qu’il devait lui rester quelque chose de sa candeur virginale. Au lieu de se révolter, elle se résigne ; au lieu de se livrer à de vaines fureurs, elle s’étonne et baisse la tête sous le poids de sa destinée. Les mains jointes ne se tordent plus dans des convulsions démoniaques, mais elles se laissent tomber avec un abattement plein de naturel et de douceur. Ce n’est plus une criminelle, c’est une victime, et, au lieu de lui mettre la camisole de force, on voudrait lui faire grâce sans forme de procès. Malheureusement l’exécution répond beaucoup trop bien au sentiment très doux de cet ouvrage, qui n’est peut-être pas exempt de quelque fadeur. Sous