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poète, charmante et égarée, souriante et funèbre, avec ses regards fixes, ses cheveux défaits, ses vêtemens en désordre et ses mains pleines de fleurs. There’s rosemary, that’s for remembrance, and there is pansies, that’s for thoughts ; there’s fennel for you and columbines ; there’s rue for you and here’s some for me. There’s a daisy. I would give you some violets, but they withered all, when my father died[1]. Des larmes coulent sur ses joues sans qu’elle y pense ; elle rit et pleure à la fois, et sa bouche enfantine s’entr’ouvre presque gaîment pour chanter ses couplets mortuaires. Les traits d’ailleurs sont ceux d’une cantatrice célèbre : les mains fines et charmantes jouent avec les plis de la jupe, la robe mal lacée laisse sortir une épaule à moitié nue ; mais les formes sont suaves et pures, l’ensemble est chaste malgré ce désordre. Il y a dans tous ces arrangemens d’une simplicité savante je ne sais quelle grâce gothique et je ne sais quel parfum de moyen âge qui sied merveilleusement au sujet. Ceux-là seuls qui ne sont pas étrangers à la sculpture peuvent se rendre compte des difficultés que M. Falguière a dû vaincre pour exprimer tant de nuances délicates. Il faut être bien habile pour essayer d’incarner dans le marbre quelqu’une de ces frêles créatures écloses de la fantaisie des poètes, et ceux qui réussissent dans de telles entreprises peuvent dire à leur tour qu’ils sont des créateurs.

Un jeune sculpteur de talent, M. Noël, s’y est essayé sans autant de succès que M. Falguière. Celui-ci s’inspirait de Shakspeare ; celui-là s’est inspiré de Goethe, mais avec moins de bonheur. Sa Marguerite ne ressemble pourtant pas à l’héroïne trop admirée d’Ary Scheffer ; elle a de bien autres prétentions que cette blonde et pâle enfant germanique. Nue jusqu’à la ceinture, debout à côté de son enfant mort, un pied sur la cassette dont lui a fait présent son séducteur, les bras tordus et les mains jointes à l’envers au-dessus de sa tête, elle essaie de mimer, par cette laborieuse attitude, tout l’intérêt tragique du poème. Il faut avouer qu’elle y réussit mal, et qu’elle se démène bien inutilement. C’est en vain qu’elle se tord le cou, qu’elle fait sortir sa hanche droite, rentrer en dedans son genou gauche, craquer les os et les muscles de ses bras ; ce sont là des contorsions d’atelier, et non des gestes de folie ou de désespoir. Ces savantes dislocations ne nous diraient rien sans le petit cadavre d’enfant qui roule sous ses pieds, et qui nous dénonce la mère coupable. Le tout est d’un dessin outré, exagéré, renflé à dessein, mais en apparence creux et cassé, d’une facture fausse et prétentieuse,

  1. Voilà du romarin, c’est pour le souvenir. Voilà des pensées, c’est pour la pensée ; voilà du fenouil et des colombines ; voilà de la rue pour vous, et j’en garde pour moi. Voilà une marguerite. Je voudrais vous donner des violettes, mais elles se sont toutes fanées quand mon père est mort.