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Wilkins, je suis sûr de trouver M. Wilkins tout politesse et Mme Wilkins tout sourires. Je m’en vais enchanté de ma visite, et cependant les Wilkins vivent peut-être comme chien et chat dans l’intimité. Il en est de même dans la cité des saints. Apparemment les mormonnes sont heureuses. Je les ai vues à leur avantage au bal et dans diverses réunions. Autant que j’en puis juger, elles étaient, comme les autres femmes, un mélange de volans, de crinolines, de collerettes et de bijoux, et, comme toutes les autres femmes aussi, plus douces de physionomie et d’âme que l’homme ne peut jamais espérer l’être. — La jeune mormonne est élevée à croire que le système de la pluralité des femmes est le meilleur, et, en liant sa destinée au mari de douze épouses, elle s’imagine faire son devoir. Elle aime le mari probablement, car je ne crois pas qu’il soit exact, bien que nombre d’écrivains l’aient affirmé, qu’elle soit forcée d’épouser quiconque lui est désigné par l’église. Comment douze ou vingt femmes vivent-elles réunies sans s’arracher les yeux ? Je ne m’en doute point. Il y a des cas où un homme ne jouit pas d’une béatitude parfaite avec une seule femme ; dire que cet homme puisse posséder vingt femmes sans avoir une favorite ou des favorites, ce serait supposer un ange botté… La mormonne apprend de bonne heure que l’homme, étant créé à l’image du Sauveur, est un être plus divin qu’elle de beaucoup, et que vouloir accaparer ses affections est péché : aussi se résigne-t-elle à partager cette affection avec cinq, six ou vingt compagnes selon les circonstances, car il faut que l’homme soit en mesure de soutenir tel ou tel nombre de femmes avant de les prendre. Voilà pourquoi tant de vieux drôles ont un nombreux sérail, tandis que les jeunes n’ont souvent qu’une femme. On m’a montré un homme qui avait épousé une famille entière. Sa première intention avait été d’épouser Jane, mais Jane ne voulut pas quitter sa mère veuve ; ses trois sœurs prétendaient rester filles pour la même raison, de sorte que cet homme courageux épousa toute la famille, y compris une grand’mère qui n’avait plus de dents et vivait de bouillie. Ces femmes étaient fort pauvres et ne purent que se féliciter d’appartenir à un homme riche… Le nom de Joseph Smith est vénéré à Utah. On dit que, bien qu’il soit mort depuis longtemps, il se marie encore par procuration. Il révèle ses desseins à celui qu’il a choisi pour agent terrestre, et l’agent obéit fidèlement au prophète défunt… J’ai dit que Brigham Young passait pour avoir quatre-vingts femmes, mais j’ai peine à le croire. M. Hyde affirme qu’il dort toujours seul dans une petite chambre derrière son bureau. S’il a quatre-vingts femmes, je ne saurais l’en blâmer : il doit avoir le vertige. Je sais bien que, si j’avais quatre-vingts femmes, je perdrais la tête, et j’irais dormir n’importe