Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/790

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

envers les proscrits. C’est alors que François Deak avait fondé sa réputation d’orateur par une protestation indignée contre l’abus de la force et contre le lâche respect des faits accomplis. Les Polonais payaient avec usure leur dette de reconnaissance. Un excellent officier d’artillerie, le général Bem, digne adversaire de Paskiévitch, retrouvait en Transylvanie ses vieux ennemis les Russes, et remportait sur eux des victoires, aussitôt célébrées dans les camps et sous les chaumières. D’ailleurs le printemps de 1849 récompensait les longs efforts des patriotes : Gœrgey refoulait sur le Danube l’armée de Windischgraetz, et le 11 avril s’emparait de Waitzen (en hongrois Vacz), après un combat où les Polonais avaient été mêlés aux honvéds, et où leur valeur éprouvée, un peu trop sûre d’elle-même, fut dépassée, s’il faut en croire un récit magyar, par l’ardeur novice de leurs compagnons.


« C’étaient tous de braves enfans : leur sang avait déjà rougi la Vistule ; ils portaient dans leur cœur le massacre d’Ostrolenka, et ils ne faisaient grâce à personne.

« Les chefs les estimaient, car on les trouvait toujours là où naît la gloire, au plus fort bouillonnement de la bataille, là où coule le sang, là où se décide la victoire.

« Ils répondaient virilement à leur nom. Ils étaient fiers d’être Polonais, et ils s’écriaient souvent dans leur orgueil : Honvéds, soyez des héros tels que nous !

« Les Magyars attaquent Vacz avec fureur ; il s’agit d’enlever la forte tête de pont. L’audacieux Fœldvary saisit leur drapeau : en avant, Polonais ! à la tête de pont !

« Le chef s’élance, il s’approche des rangs serrés de l’ennemi ; mais le bataillon polonais reste immobile, murmurant : Nous y périrons tous, et pour rien.

« Le chef s’élance, mais ceux qu’il voit derrière lui ne sont pas ceux qu’il croyait, ce sont des patriotes qui ont quitté leur cheval pour combattre de plus près.

« Fœldvary, plein de rage, revient, saisit le drapeau et le jette par terre : il me faut de meilleurs soldats, dit-il ; honvéds, avec moi à la tête de pont !

« Ils marchent, — sous le noir drapeau du 3e bataillon, ils vont comme la tempête. Bien des honvéds périrent, mais à la fin ils furent vainqueurs.

« Depuis ce jour, la troupe polonaise fut brave encore ; ils étaient fiers d’être Polonais, mais on ne les entendait plus dire : Honvéds, soyez des héros tels que nous ! »