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chaînes. Blanche comme la neige, reprends ton vol. Que tes ailes frémissent comme frémit le drapeau victorieux.

« Longtemps tu fus gisante dans le tombeau ; reprends aujourd’hui ton essor. Ton cercueil, nous l’enfonçons si profondément dans la terre qu’il ne te ressaisira jamais, il a perdu toute puissance.

« Et si la terre est purifiée de l’injustice, si notre autel doit rester debout, alors demeure parmi nous, sainte liberté, demeure dans nos cœurs fidèles, que ton nom fait palpiter.

« Sur tes chaînes brisées, nous adressons à Dieu ce serment : fidèles à toi comme à nous-mêmes, nous te vouons éternellement notre amour et nos cœurs.

« Toujours unis, nous crions : Parmi nous point de partis, point de jalousies. Les maux de nos aïeux sont venus de là. Que l’esprit de division soit à jamais enseveli !

« Comme ont lutté Arpad et Hunyad, nous combattons pour ton autel ; comme Zrinyi et Losonczy sont morts, nous versons le sang de nos cœurs, un sang chaud, patriote.

« Salut, liberté sainte ! O Dieu, regarde vers nous ; bénis ce peuple qui te supplie. Avec toi sera grande et glorieuse la libre patrie magyare. »


Ainsi pensaient les patriotes dès la première moitié de 1848, lorsque la victoire sans combat paraissait complète, et que cependant l’œil le moins clairvoyant pouvait apercevoir les signes d’un prochain orage. A la nouvelle de la révolution parisienne, Kossuth avait demandé que son pays fût soustrait à toute pression de la cour de Vienne par la création d’un ministère indépendant, responsable devant la diète : le gouvernement autrichien avait constitué ce ministère sous la présidence du comte Batthiany. Tous les restes du régime féodal, dîmes, services, redevances, avaient disparu devant un élan d’enthousiasme comparable à la nuit du 4 août. Enfin une loi libérale venait de présider aux élections, et dès le mois de juillet siégeait la nouvelle diète toute-puissante avec ses jeunes orateurs et ses hommes d’état éprouvés par de longs services.

Malgré toutes ces apparences favorables, chacun sentait trembler sous ses pas le sol de la patrie. On craignait les querelles, les jalousies ; le poète vient de nous révéler ces appréhensions, que la réalité n’a que trop justifiées, et d’ailleurs pouvait-on espérer un accord durable entre un grand seigneur comme Széchenyi, un avocat journaliste tel que Kossuth, un officier tel que Gœrgey ? Ajoutons que la cour de Vienne n’avait probablement fait des concessions aux Magyars que pour se donner le temps de combattre les insurgés d’Italie, et avec l’idée bien arrêtée de tout retirer