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chez les Antanosses se renouvelèrent à Sainte-Marie. L’agent de la compagnie des Indes, Gosse, homme stupide et méchant, révolta les indigènes : les Français furent massacrés. Ils reparaissent dans la petite île en 1754, pour l’abandonner encore en 1761. Des établissemens de commerce particuliers continuèrent d’exister sur la côte orientale de la Grande-Terre. Tant de déceptions n’avaient pas découragé tous les esprits ; — un officier distingué, le comte de Modave, adressa au ministre de la marine un mémoire où les avantages et la facilité d’avoir une colonie à Madagascar étaient exposés[1]. En 1768, M. de Modave entreprenait de relever le fort Dauphin : les ressources manquèrent ; le gouverneur, ayant perdu tout espoir de succès, quittait le pays dès l’année suivante.

Le temps est venu où de vrais observateurs visiteront la grande île africaine. Par un hasard qu’on rencontre si rarement, on avait donné à l’Ile-de-France pour gouverneur un homme instruit, plein d’aménité, sachant en toute occasion mettre la science à profit, Poivre enfin, dont le nom est attaché à plus d’un bienfait. En 1769, le chevalier Grenier, ayant à son bord l’astronome Rochon[2], se rendit à Madagascar. Pendant cette expédition, quelques points de la côte furent déterminés avec soin. Rochon avait reçu de Poivre la recommandation de recueillir « tout ce qui pourrait contribuer aux progrès des sciences et des arts. » Il s’occupa des plus remarquables représentans du règne végétal ; il a rapporté au Jardin du Roi de beaux échantillons de quartz. Bientôt après, Philibert Commerson, qui avait accompagné Bougainville dans son voyage aux terres australes, venait étudier à son tour, par ordre du gouvernement, la Grande-Terre. Pour la première fois, un naturaliste visitait le pays déjà foulé par une multitude de Français. L’explorateur parcourut les environs du fort Dauphin, récoltant une infinité d’objets, opérant une véritable reconnaissance scientifique. Alors, comme une exclamation, retentit en Europe cette vérité saisissante : la grande île africaine ne ressemble à aucune autre contrée du monde. « Quel admirable pays que Madagascar ! écrit en 1771 Commerson à son intime ami l’astronome Lalande ; c’est à Madagascar que je puis annoncer aux naturalistes qu’est la terre de promission pour eux. C’est là que la nature semble s’être retirée comme dans un sanctuaire particulier pour y travailler sur d’autres modèles que sur ceux où elle s’est asservie ailleurs ; les formes les plus insolites, les plus merveilleuses, s’y rencontrent à chaque pas… » Tant de voyageurs avaient regardé cette nature étrange ! les yeux d’un véritable observateur avaient été nécessaires pour la voir. Malheureusement

  1. Le mémoire du comte de Modave est reproduit en entier dans le Voyage à Madagascar et aux Indes orientales de l’abbé Rocbon, Paris 1791 et 1793.
  2. Alexis-Marie de Rochon, né à Brest en 1741, mort membre de l’Institut en 1817.