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de vie près du maître, le seigneur Mevarrou, petit-fils du souverain absolu de la contrée. Il n’est vraiment pas très malheureux ; au commencement de sa captivité, il ne fait guère autre chose que de se promener et de visiter les plantations en compagnie de la princesse et de sa fille. Cependant une existence aussi désœuvrée ne dure pas. Amené sur un champ, le jeune Anglais est invité à prendre la bêche et à travailler. Il affecte une incroyable maladresse ; le seigneur et sa femme rient, le voilà dispensé d’être cultivateur. Il sera berger, c’est plus agréable : on ne se fatigue que dans les grandes chaleurs ; il faut aller abreuver les troupeaux à la distance de plusieurs milles. Une pratique curieuse est répandue dans les régions privées de rivières et d’étangs : au matin, on va sur les herbes recueillir la rosée avec des calebasses et des vases de bois. En moins d’une heure, une abondante provision est faite ; mais cette eau, excellente lorsqu’elle est fraîche, s’altère vite et prend un goût désagréable. Le captif est bientôt enlevé à ses fonctions de berger. Le seigneur annonce qu’il part pour la guerre, et le charge d’être le gardien assidu de sa femme ; dans cette situation, la peine n’existe pas. Ici nous apprenons comment est salué au village le retour du chef victorieux. L’entrée est triomphale, les trompettes sonnent ; tout le long du chemin, les hommes dansent devant le prince, ceux qui sont en tête tirent des coups de fusil vers la terre, — c’est la façon de déclarer le succès ; les troupeaux conquis et les prisonniers marchent à la suite. Alors, autour de l’habitation du chef, se groupent les parens et la population, et chacun vient se prosterner aux pieds du vainqueur. Les procédés de la guerre chez les Malgaches, dont Flacourt nous a instruits, sont décrits dans tous les détails par Robert Drury. Les agresseurs, profitant d’une nuit sombre, atteignent la ville endormie qu’ils se proposent de surprendre ; jetant de la chair aux chiens afin de les empêcher d’aboyer, ils pénètrent à l’intérieur. Un coup de fusil est tiré pour répandre l’alarme ; subitement éveillés, les hommes sortent des cases, et sans défense ils sont percés par les sagaies. Les femmes et les enfans sont enlevés, les troupeaux emmenés, les objets de valeur recueillis, et le village est livré aux flammes. Aussi, dans les temps de guerre, c’est un usage constant parmi les peuplades de la grande île de cacher les femmes et les enfans, ainsi que les troupeaux, dans les parties les plus inaccessibles des bois ; on prend soin d’éloigner beaucoup les uns des autres, parce que les mugissemens des animaux pourraient déceler la retraite des femmes. A défaut de provisions, les ignames, le miel, les fruits, suffisent à nourrir les réfugiés. On installe un rucher d’une façon bien simple : les abeilles, chacun le sait, se logent dans le creux des arbres ; on coupe les troncs, et l’on emporte la partie qui contient les rayons. Parfois des peuplades, trop faibles