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gouverné par un monarque et par tel monarque. La république est de droit commun, car le premier droit d’un peuple est de se gouverner lui-même. Qu’il puisse retrancher quelque chose de ce droit et en transmettre une partie à une famille, s’il le veut, soit ; mais c’est une exception qui doit être expressément stipulée, et qui ne peut être préjugée a priori. La présomption est donc en faveur de la république jusqu’à démonstration du contraire.

Du principe de la souveraineté nationale naissent deux conséquences : la première, c’est que les gouvernemens doivent s’imposer le respect inviolable des lois ; la seconde, c’est que les partis doivent s’interdire à tout jamais l’appel à la force. L’évidence de ces deux règles n’a pas besoin d’être démontrée ; la difficulté, c’est de les faire pratiquer. Commençons par la première.

Le plus grand malheur produit par l’esprit révolutionnaire, c’est qu’il s’introduit jusque dans les camps qui lui sont le plus opposés, et se cache sous les apparences mêmes du contraire. Ainsi c’est certainement un des faits les plus navrans de notre histoire que l’adhésion donnée par le parti conservateur à l’acte du 2 décembre. Par cela seul que cet acte était commis par l’autorité, l’immense majorité l’a reçu comme légitime sans voir qu’il était précisément et n’était autre chose qu’un acte révolutionnaire. C’est en effet le 2 décembre qui a réintroduit en France les procédés révolutionnaires, dont on avait perdu le souvenir. Depuis le 18 fructidor, on n’avait pas vu en effet de déportations en masse sans jugement, de proscription des hommes illustres du pays, de confiscations, etc. Ni le gouvernement de 1830, ni celui de 1848, en parvenant au pouvoir, n’avaient déporté, proscrit et dépouillé leurs ennemis. Tous ces faits, accomplis contre la loi (je ne parle pas même de la justice) par le pouvoir de 1852, ont été acceptés et approuvés comme des actes conservateurs de l’ordre social. Dès lors tout critérium a disparu entre ce qu’on doit appeler ordre et désordre, autorité ou usurpation, et l’esprit révolutionnaire, que la monarchie légale de juillet avait peu à peu adouci et amené à une sorte de clémence relative et de respect d’autrui, a trouvé dans un exemple victorieux un aliment nouveau. Aussi a-t-on vu le parti révolutionnaire bien autrement violent et odieux après l’empire qu’il ne l’avait été après le gouvernement de juillet.

S’il est évident que l’exemple a une vertu puissante, on peut affirmer que tout gouvernement qui se fait un jeu de la loi et préfère le droit de l’épée au droit de la raison encourage, fortifie et développe, quelles que soient les apparences contraires, l’esprit révolutionnaire. — Réciproquement tout gouvernement qui mettra la loi au-dessus de ses volontés propres paralyse et éteint la force de