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Bourbons avec les mêmes armes que l’année précédente. Viennent les journées de juillet, 1830, qui renversent la royauté héréditaire et la remplacent par la royauté constitutionnelle, — puis février 1848, qui renverse la royauté constitutionnelle et la remplace par las seconde république, — puis le coup d’état du 2 décembre, qui ramène le second on le troisième empire[1], — enfin le 4 septembre, qui met fin à l’empire et inaugure la troisième république. Triste nécrologue des gouvernemens ! jeux de force et de hasard où doit périr inévitablement à la longue tout peuple qui s’y livre ! Que si la France n’y a pas succombé encore, c’est une preuve de son incroyable vitalité ; mais cette vitalité n’est pas inépuisable. Qui oserait dire qu’un nouveau coup de force, fût-il le dernier, ne serait pas le coup mortel ?

En résumé, depuis 89 jusqu’à nos jours, il y a eu dix ou douze coups de force[2] et douze gouvernemens différens, dont pas un seul, pas un entendons-le bien, n’a été l’expression spontanée de la volonté nationale, douze gouvernemens qui tous ont été usurpateurs dans le sens précis et scientifique du mot, chacun d’eux en moyenne ayant duré de sept à huit années. Ainsi tous les huit ans, la violence renverse en France l’autorité légale et crée un pouvoir de circonstance, renversé par les mêmes armes qui l’ont élevé. Voilà notre histoire, voilà la France telle que l’a faite la révolution, pour avoir confondu le droit avec la force, le dieu avec l’idole, et pour s’être divinisée elle-même et s’être déclarée infaillible, même dans ses plus exécrables aberrations[3].

On n’aurait pas encore une idée suffisante du rôle de la force dans les affaires de notre pays, si l’on ne comptait que les tentatives qui ont réussi, non celles qui ont échoué, et que si elles eussent réussi, auraient établi des gouvernemens tout aussi légitimes, quelquefois même plus légitimes que ceux qui ont régné. Comptons d’abord la grande guerre de la Vendée, que les royalistes peuvent considérer comme la défense du droit, mais qui au point de vue du pouvoir dominant n’en était pas moins une insurrection, et qui s’est renouvelée deux fois, la première pendant le consulat, la seconde au commencement du gouvernement de juillet. Comptons encore

  1. Je dis troisième empire, les cent jours pouvant être considérés comme le second.
  2. Sans compter les deux invasions de 1814 et de 1815, — douze en les comptant.
  3. Nous espérons bien que ces paroles ne nous feront pas ranger parmi les ennemis de la révolution que nous avons déjà défendue ici même, dans nos études sur la Philosophie de la révolution française. Nous admettons hautement les principes de la révolution avec toutes leurs conséquences ; nous ne répudions que l’emploi indéfini et perpétuel de la force comme moyen d’action. Au reste, la suite de ce travail fera bien voir notre vraie pensée.