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Le fait est que le chancelier de Berlin s’est probablement jeté par impatience dans une voie où il n’est pas toujours facile de s’arrêter ; il a cédé à une de ces tentations qui sont le piège des dominateurs, et il a cru sans doute arriver plus aisément à ses fins en essayant de gagner à sa cause d’autres puissances telles que l’Autriche, l’Italie. Ce que fera l’Autriche, nous ne le savons pas. Quant à l’Italie, malgré quelques apparences d’intérêts communs, elle n’a aucune raison de lier sa politique à la politique nouvelle de la Prusse. Elle a proclamé la liberté religieuse, elle veut la maintenir, elle n’a aucunement la passion de poursuivre les jésuites ou « les congrégations analogues. » Elle est encore moins intéressée à chercher des combinaisons pour le futur conclave. Elle ne pourrait être conduite à se rapprocher plus intimement de la Prusse dans toutes ces questions que si la France songeait à mettre en doute l’unité italienne ; mais qui pourrait avoir aujourd’hui l’étrange idée de proposer à la France une telle politique ? Quelques mots récemment prononcés par M. Thiers à l’assemblée nationale indiquent assez que ce n’est point la pensée du gouvernement. M. de Bismarck, lui, peut invoquer plus ou moins habilement quelques analogies spécieuses de situation ou d’intérêts pour tenter de former une sorte de coalition politique permanente dont il serait le chef et dont il saurait se servir au besoin. Qu’auraient à gagner l’Italie et l’Autriche elle-même à s’aventurer dans des combinaisons où elles ne seraient plus que les satellites d’une prépotence nouvelle fondée en Europe ? En cela, comme en bien d’autres choses, elles n’ont qu’un intérêt qui les rapproche de la France bien plus que de la Prusse. Ce qu’il y a de plus sensé et de plus prévoyant, pour elles, c’est de s’abstenir, de laisser l’Allemagne à l’ardeur de ses querelles religieuses, et M. de Bismarck à cette humeur guerrière qu’il déploie aujourd’hui contre les jésuites. Que le prince-chancelier se plaise à recommencer l’histoire de Napoléon au faîte de sa puissance, c’est son affaire ; il n’est point au bout de sa politique, nous verrons ce qui en sortira.

L’Espagne est en dehors de ces mouvemens du cintre de l’Europe, elle a bien assez de ses agitations et de ses crises intérieures sur lesquelles l’avènement récent du ministère radical de M. Ruiz Zorrilla n’a point décidément une influence pacifiante. Rien n’est assurément plus difficile que de suivre cette histoire espagnole qui a les allures quelque peu vagabondes, et qui en définitive tourne toujours dans le même cercle. Tout ce qu’on peut dire, c’est que les partis sont plus irréconciliables que jamais, que les passions s’enveniment de jour en jour, que l’anarchie morale ne fait que grandir, et que cette immense confusion vient d’être éclairée tout à coup d’une lumière sinistre par un attentat récemment dirigé contre le roi et la reine en pleine ville de Madrid. Le roi Amédée et la reine Victoire étaient allés le soir se reposer des chaleurs du jour et respirer le frais aux jardins du Buen-Retiro. En rentrant au palais, à minuit, au moment où ils arrivaient à la rue de l’Arenal,