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peuvent sans doute guérir de telles blessures, mais qui peuvent du moins jusqu’à un certain point en adoucir l’amertume.

On n’accusera pas sans doute aujourd’hui la France, comme on l’a fait si souvent, de prétendre exercer une prépondérance orgueilleuse, de vouloir porter une main souveraine et dirigeante sur toutes les affaires du monde. La France est assez absorbée dans ses propres affaires ; elle est modestement et virilement occupée à se délivrer de l’invasion étrangère, à réparer ses désastres, à se reconstituer elle-même à travers toutes les difficultés qui sont l’inévitable suite des guerres malheureuses et des révolutions. Elle a pour longtemps son labeur et sa peine, sans parler de cette obsession toujours poignante de ses provinces perdues. Où en est cependant l’Europe, de son côté ? Rien ne serait peut-être plus curieux que d’étudier l’ensemble des relations européennes avant la guerre qui a été si funeste à notre pays et depuis cette guerre, et si l’on voulait poursuivre cette étude sincèrement, sans parti-pris, on en viendrait peut-être bientôt à s’apercevoir que le monde européen est resté dans une certaine confusion, que peuples et gouvernemens en sont à chercher leur direction, que les revers de la France n’ont rien simplifié. L’Angleterre, si heureuse qu’elle soit d’avoir échappé au péril d’un conflit avec les États-Unis, — d’en être quitte pour une indemnité que le tribunal de Genève doit fixer, l’Angleterre n’est point peut-être sans ressentir quelque malaise, et elle ne partage pas entièrement la satisfaction que M. Gladstone exprimait ces jours derniers au banquet du lord-maire. Elle n’est pas absolument contente de la figure qu’elle fait dans le monde depuis quelques années. La Russie, sans avoir à craindre des complications immédiates ou même prochaines avec l’Allemagne, la Russie ne peut se dissimuler qu’elle a désormais une terrible voisine, et qu’elle aura sans doute un jour ou l’autre à se mesurer avec cette puissance nouvelle qui vient de se fonder. L’Autriche vit entre ses nationalités slaves, qu’elle ne peut ou qu’elle n’ose satisfaire, et ses populations germaniques, plus qu’à demi gagnées par l’influence prussienne à la grande patrie allemande. Elle se crée une tranquillité momentanée avec des expédiens, en oubliant beaucoup. L’empereur François-Joseph, après avoir rencontré l’an dernier l’empereur Guillaume à Gastein, se dispose, dit-on, à se rendre prochainement à Berlin. C’est le moyen de déguiser les embarras d’une situation difficile, de se donner les apparences d’une entente diplomatique et de gagner du temps. En Orient, à Constantinople, d’étranges événement se préparent peut-être et peuvent se produire, soit par les changemens que le sultan Abdul-Azis médite dans l’ordre de succession au trône, soit par suite des rivalités qui existent entre le grand-vizir actuel, Mahmoud-Pacha, le, représentant de la réaction, de la vieille politique turque, et d’autres hommes qui passent pour plus favorables aux influences occidentales.