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grammaire parlante ? » N’était-il pas, comme Port-Royal, partisan d’études grammaticales raisonnées et sérieuses, et n’a-t-il pas consacré dans son ouvrage un chapitre entier à la phonétique latine, dans lequel il dit « qu’il faut que les jeunes gens connaissent la manière ancienne d’écrire et de prononcer le latin, et que c’est une partie essentielle de la grammaire ? » N’est-ce pas lui enfin qui conseille au maître, quand il traduit un auteur, de présenter quelques observations sur l’histoire et la constitution du texte, d’indiquer de temps en temps quelques variantes, et de faire décider les élèves entre deux leçons différentes d’une phrase difficile ? Ces exercices sont depuis longtemps abandonnés dans nos écoles. « Notre Université, dit M. Bréal, craint de troubler par ces minuties les jouissances littéraires, mais nous ne voyons pas que les temps et les pays où la critique de texte a été poussée le plus loin aient pour cela moins compris ou moins aimé l’antiquité. Nous devons constater au contraire que, partout où la critique philologique a été abandonnée, l’antiquité a peu à peu cessé d’être étudiée et comprise, et qu’elle est devenue le prétexte d’une sorte de culte officiel et vide. »

M. Bréal nous ramène donc en réalité à la méthode de Port-Royal et de Rollin ; nous nous en sommes écartés par timidité d’esprit, par complaisance pour ce goût d’insouciance et de futilité qui règne partout ; il nous engage à y revenir. Il pense que l’élève ne sait bien que ce qu’il a trouvé lui-même, et demande qu’au lieu de lui imposer toujours des solutions toutes préparées on le mette sur la voie de les découvrir. C’est le système de Rousseau. Nous l’avons déclaré chimérique en France ; en Allemagne, on en a fait la base de l’éducation publique. Quel danger pouvons-nous courir à l’essayer dans nos classes ? Quel mal peuvent faire à l’esprit français des méthodes qui sont françaises d’origine, qui ont été imaginées chez nous et pour nous ? Il y a sans doute un grand inconvénient à méconnaître le génie d’un peuple dans les réformes qu’on veut lui appliquer, et personne ne nie que l’éducation qu’on lui donne doit être appropriée à sa nature ; mais n’est-ce pas un danger aussi, et un danger plus grand, sous prétexte de ménager son caractère national, de le pousser du côté de ses défauts ? La France est une nation lettrée, plus que les autres peut-être elle comprend, elle aime les jouissances de l’esprit, elle goûte surtout, elle préfère à tout le reste l’élégance du langage, la finesse des aperçus, la justesse des pensées, la délicatesse des sentimens ; il faut néanmoins remarquer que les grandes époques de son histoire littéraire sont celles où ces qualités n’ont pas dominé seules et sans contre-poids. Le XVIIe siècle avait été précédé et préparé par un siècle de grande érudition, et lui-même tenait en haute estime la connaissance approfondie de l’antiquité. C’est l’époque des Ménage, des Saumaise, des Dacier. La science et la littérature ne s’étaient pas séparées encore, elles marchaient ensemble et s’appuyaient l’une sur l’autre. Au