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A mesure qu’il pénètre davantage au cœur de cette société, il en ressent de plus en plus, malgré de passagères ivresses d’amour-propre, le vide bruyant et le néant agité. Vers la fin de ce premier séjour à Paris, il émet cette idée, qu’après tout rien ou presque rien n’est sincère dans la haute société où il vit, pas même cette prétention à l’athéisme contre laquelle il s’irritait d’abord. Or, n’est-ce pas une faiblesse de plus que cette fanfaronnade contre ce qu’on croit au fond du cœur ? « De tout ce que je vous ai dit, écrit-il à M. Gray, il ne faudrait pas conclure que les personnes de qualité soient au fond athées, du moins les hommes. On ne peut savoir à fond une nation en quatre ou cinq mois. Les pauvres gens sont incapables d’aller au bout de la libre pensée. Ils auraient honte de défendre leur église, parce qu’il est d’usage de la fronder, mais je suis convaincu qu’ils y croient au fond du cœur… Du reste les hommes, en général et plus qu’en général, sont niais et vides, et avec cela des airs méprisans et contraints… Véritablement les femmes ne semblent pas être du même pays. »

Dans cet affaissement et cet effacement universels, la femme prend de plus en plus le pas sur l’homme. Il semble qu’il y ait en elle une souplesse d’organisation et d’esprit, qui résiste mieux aux influences énervantes, et qui garde mieux son niveau. Cette nuance se marque clairement dans la correspondance de Walpole. A part toute galanterie ou sympathie particulière, on sent que les salons tenus par des femmes sont le dernier refuge du vieil esprit français, subsistant encore, à travers le pédantisme à la mode. Après quelques expériences, Walpole renonce à la maison du baron d’Holbach. Il plante là ses fameux dîners. « C’était à n’y pas tenir avec ses auteurs, ses philosophes et ses savans, dont il a toujours un plein pigeonnier. Ils m’avaient fait tourner la tête avec un nouveau système de déluges antédiluviens, qu’ils ont inventé pour prouver l’éternité de la matière… En somme, folie pour folie, j’aime mieux les jésuites que les philosophes. » Quelle différence entre ces conversations où s’élaborait le Système de la nature, le plus lourd ouvrage du siècle, et ces entretiens dirigés avec tant. de goût et de tact, à travers tant d’écueils, par Mme Geoffrin ! Ici on reçoit aussi des philosophes ; mais quelle différence ! on leur donne le ton, on les gouverne avec un art si naturel qu’on dirait d’un instinct. On sait que Mme Geoffrin avait une manière de dire : « Voilà qui est bien, » qui arrêtait net les discussions tournant à la dispute, les tirades au moment où elles devenaient des monologues, les conversations lancées à fond de train sur des sujets scabreux par des esprits échauffés. Ce mérite d’à-propos, de tempérament et de mesure, servi par l’intelligence la plus fine, enchante Walpole. Il ne