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par tempérament et par nature, et c’est ce qui tue ; vous n’êtes plus gaillards et drus d’humeur, comme l’était par exemple un Vivonne aux belles années de Louis XIV. Intemperans adolescentia effetum corpus tradit senectuti. » C’est déjà le châtiment, en attendant le coup de foudre qui va bientôt disperser toutes ces grâces fanées et jeter à bas toutes ces ruines.

C’est un signe du temps : on ne rit plus. Le rire est une dernière marque de jeunesse, de santé, de conscience saine. Il y a en lui quelque chose de robuste et de viril ; c’est comme un épanouissement de force tranquille et de paix intérieure. La corruption froide et décente est la pire de toutes ; il n’y a pas de remède contre le vice triste. Cette gravité ; pratiquée en conscience, désole Walpole : « Le rire est aussi passé de mode que les pantins et les bilboquets… La mode est au sérieux… Peut-être tous ces gens-là, — de fous qu’ils étaient, — sont-ils en train de devenir sages ; mais le point intermédiaire est la sottise. » C’est la manie raisonnante, disputante, qui règne partout. « Les pauvres gens, ils n’ont pas le temps de rire : d’abord il faut penser à jeter à terre Dieu et le roi ; hommes et femmes, tous, jusqu’au dernier, travaillent dévotement à cette démolition. » Il semble bien qu’à cette date l’enjouement, le naturel, l’éclat vif et léger de la conversation française, tout cela était comme amorti sous une peinte uniforme d’idées générales et de philosophisme épais. On ne sait plus causer, on discute ou l’on prêche. « Généralement le ton de la conversation est solennel, pédantesque… J’exprimais un jour mon aversion pour les disputes ; M. Hume, qui par reconnaissance admire d’autant plus le tonde Paris qu’il n’en, a jamais connu d’autre, me dit d’un air tout étonné : « Mais qu’aimez-vous donc, si vous détestez à la fois les discussions et le whist ? » Sans doute il faut tenu ; compte d’une certaine exagération, quand Walpole touche à ces sujets qui lui sont antipathiques ; mais il doit y avoir un fond de vérité. Sauf quelques coins préservés de la contagion ou quelques talens exceptionnels de verve et de tempérament, comme Diderot, on sent que l’on touche à ce point critique d’une époque où la nouveauté des idées est déflorée, où le paradoxe commence à tourner au lieu-commun, où la révolte de l’esprit, qui avait son intérêt quand elle était une audace, devient une prétention de petits-maîtres, une parure comme une autre pour les dames, une toilette de l’esprit.

Certes Walpole n’aime guère la philosophie, et en cela il a grand tort ; mais a-t-il réellement tort de ne pas aimer la philosophie à la mode et d’en critiquer le règne despotique dans les salons ? Je ne saurais l’en blâmer : c’est affaire de goût autant que de doctrine. Qui ne donnerait raison à ces vives satires renaissant à chaque instant sous sa plume ? Il se plaint que les Français affectent la