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fantaisies, une analyse de leurs propres sentimens ; on trouvera cela original et charmant, et voilà le bel art de la correspondance de nouveau inventé.


II

En débarquant en France, Walpole n’était pas un étranger pour la haute société de Paris. En 1763, les murs pseudo-gothiques et les jardins un peu trop jolis, un peu trop ornés de Strawberry-Hill avaient reçu la plus brillante députation de ce grand monde qu’il allait revoir. Le duc de Nivernois, ministre plénipotentiaire en Angleterre, le comte d’Usson et sa femme, Mme de Boufflers, avaient visité Strawberry, qui s’était mis en fête et en joie pour les recevoir. Le lord ou l’abbé, comme il aimait à s’appeler, s’était surpassé en magnificence et en galanterie. Il fallait que cette fête, a-t-on dit malicieusement, eût son écho à Paris et préparât le voyage prochain de Walpole. Pendant plusieurs jours, ce ne furent que banquets et lunchs dans le grand parloir du château, sonneries de cors de chasse dans le grand cloître, petits vers galans de Walpole auxquels, ripostaient les madrigaux du duc de Nivernois, feux d’artifice, astragales… Le diable n’y avait rien perdu, et a peine ses hôtes étaient-ils partis que l’abbé de Strawberry écrivait à son cousin Conway, à Londres : « Vous avez vu maintenant la célèbre Mme de Boufflers ; je suis sûr que vous êtes de mon avis, en ne trouvant pas que la vivacité soit le partage des Français. Si l’on en excepte l’étourderie des mousquetaires et de deux ou trois petits-maîtres assez impertinens, ils me semblent plus inanimés que les Allemands. Je ne puis comprendre comment ils se sont fait une réputation de vivacité. Charles Townshend a en lui plus de sel volatil que toute cette nation. Son roi (Louis XV) est la taciturnité même ; Mirepoix est une momie ambulante ; Nivernois a autant de vitalité qu’un enfant gâté malade… Si j’ai la goutte l’année prochaine, et qu’elle me mette tout à fait à bas, j’irai à Paris pour me trouver à leur niveau. A présent, je suis trop fou pour leur tenir compagnie. » — Voilà un jugement bien inattendu d’un Anglais sur des Français. Est-ce une boutade ? Non pas ; plus tard nous retrouverons une impression analogue à celle-là dans quelques-unes de ses lettres écrites de Paris. Il sera curieux d’en analyser les raisons probables. Pour le moment, nous ne pouvons voir ici que le sentiment du contraste entre l’élégance discrète et fine, même dans sa frivolité, de ces hôtes que Paris lui envoyait, et la verve colossale de l’humour britannique ou bien encore la gaîté exubérante dont Walpole avait eu toute sa vie l’exemple autour de lui, sans la goûter pour lui-même, chez son père à Hougton, et chez