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plus d’une fois des navires en rade de Tamatave ; quelques marchands se hasardèrent sur la côte. La cour de Tananarive persistait dans la volonté de n’entretenir aucun rapport avec les gouvernemens étrangers et de détruire absolument le christianisme parmi les Ovas. Néanmoins malgré la persécution il existait encore dans la province d’Imerina des fidèles qui transmettaient des informations au clergé de l’île Maurice. Près de vingt ans s’étaient écoulés depuis le départ des missionnaires ; il y avait une sorte d’apaisement. En Angleterre, on imagina qu’une visite à la reine et au peuple de Madagascar pourrait être d’un excellent effet. Deux membres de la mission de Londres, M. Cameron et M. Ellis, ce dernier rendu célèbre par la publication de l’histoire de Madagascar, furent mis en devoir de se faire habiles diplomates ; — on reconnaissait la nécessité de s’abstenir entièrement de parler d’affaires religieuses. Au mois de juillet 1853, les deux Anglais débarquaient à Tamatave : ils trouvèrent le peuple misérable, regrettant beaucoup les étrangers ; le riz et les autres marchandises du pays s’accumulaient dans les magasins, l’argent et les produits d’Europe ne venaient plus enrichir personne. Parmi les autorités, il y avait à la fois satisfaction de questionner des Européens au sujet des nouvelles du monde et appréhension de vues hostiles de la part du gouvernement britannique ; à cet égard, on se hâta de les rassurer. Les lettres des Anglais à la reine expédiées, M. Ellis, en attendant la réponse, entreprit des excursions botaniques ; comme il avait déjà visité les peuples de la mer du sud, il demeura surpris d’entendre des mots malgaches qui existent dans la langue des Polynésiens ; c’était l’indication d’une recherche à poursuivre. La réponse de la reine parvint à Tamatave : conçue en termes pleins de courtoisie, elle insistait sur les grandes affaires d’intérêt public, qui de longtemps ne lui laisseraient aucun loisir ; avec politesse, on engageait les visiteurs à repasser la mer, afin de se soustraire aux chances de maladies. Les Anglais s’en retournèrent à Maurice[1].

Soudain une idée était venue à cette terrible reine Ranavalona : consentir à permettre le commerce extérieur, si on lui donnait 15,000 piastres en dédommagement de l’offense faite par MM. Romain-Desfossés et William Kelly. M. Cameron partit bien vite porter la somme, et les autorités de Tamatave ne tardèrent pas d’être avisées par le secrétaire du cabinet de Tananarive que la reprise des opérations commerciales était autorisée ; une salve de coups de canon tirée du fort annonça l’événement. En témoignage d’amitié, l’ordre fut écrit de détacher les crânes des Anglais et des Français tués dans les derniers combats, restés depuis 1845 accrochés au

  1. Ellis, Three Visits to Madagascar during the years 1853-1854-1856, London 1858.