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Sans bruit, sans longues discussions, on avait repris possession du fort Dauphin, dont il ne restait guère que des décombres ; la presqu’île de Tholangare ou Tolaonara[1] étant éloignée des centres d’opérations des Ovas comme des Anglais, on devait croire à la probabilité d’y vivre en paix. En 1819, M. Albrand avait reçu la mission de visiter le territoire anciennement occupé par les Français. L’impression avait été favorable ; des observations d’un certain intérêt nous ont été transmises[2]. Le caractère du pays a été dépeint pour la première fois d’une manière un peu saisissante. La contrée, dit M. Albrand, présente aux navigateurs qui abordent la côte de la province d’Anossi un aspect imposant : des montagnes hautes et découpées d’une façon bizarre s’élèvent brusquement à une lieue du rivage ; d’épaisses forêts couvrent les flancs de ces montagnes et s’étendent au pied jusqu’à peu de distance des bords de la mer où, semblable à un liséré, court une bande de sable marquant au loin, par sa teinte blanche, les sinuosités du littoral. A l’intérieur, c’est une vaste plaine de tous côtés circonscrite par une chaîne montueuse, d’une élévation rapide, où l’œil découvre à peine entre les nombreux villages des bouquets de bois rares et clair-semés. La position du fort Dauphin, avantageuse à certains égards, offre l’inconvénient d’être exposée aux brises du sud-est. L’extrémité de la presqu’île avancée au sud de la baie de Tolaonara, comme une jetée naturelle, est une défense contre la houle, insuffisante pour rompre entièrement l’effort des lames. L’entrée de la baie du fort Dauphin semble désignée par une roche où l’on remarque un effet curieux ; même dans les temps les plus calmes, la mer brisant sur cet écueil, l’eau jaillit en une gerbe pareille au jet d’une baleine. On s’étonne de la rareté des eaux courantes dans un pays aussi montagneux, la contrée n’a qu’une rivière un peu considérable, la Fantsaïra, large comme le Rhône au pont Saint-Esprit, coulant avec lenteur, fermée près de l’embouchure par une barre, et souvent obstruée par des sables. Selon M. Albrand, la fertilité du sol a été fort exagérée ; une argile rougeâtre, qui s’étend sur la grande plaine d’Anossi, offre une surface nue où seules quelques rizières éparses récréent les yeux du voyageur. Plusieurs fois on a parlé de la douceur du climat de Madagascar : pendant un séjour au fort Dauphin, du 4 août au 20 novembre, le narrateur a observé

  1. Tholangare était le nom adopté par Flacourt, — Tolaonara, le nom rectifié par les auteurs qui ont étudié la prononciation malgache.
  2. Albrand : Etude sur la province d’Anossi : Annales maritimes et coloniales, t. Cil, p. 4t)U ; 1847. — Cette notice, publiée longtemps après la mort de M. Albrand, fut rédigée en 1820.