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sur ses ruines. Croit-on qu’on puisse la relever en quelques heures ? Pour la rebâtir, il faudrait beaucoup de temps et de peines ; il faudrait un plan tout nouveau qui la rendît habitable pour la société moderne, il faudrait surtout y faire entrer tous les matériaux révolutionnaires. Et alors que ? deviendrait la poésie des souvenirs ? Ce ne serait plus la maison de la famille, le berceau de la patrie ; ce serait une simple hôtellerie de passage, ouverte atout venant, et qui n’offrirait elle-même au pays qu’un gîte provisoire sur le grand chemin de la république.

C’est dans la république seule que nous trouverons un refuge contre les agitations qui nous énervent. Que la France, épuisée de révolutions, accepté enfin la révolution elle-même en lui donnant sa forme de gouvernement définitive, c’est-à-dire le gouvernement de tous par tous ou, comme disait Lincoln, « le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. » Ne craignons pas d’avouer la démocratie et de vivre avec elle. Faisons en sorte que le gouvernement de la France, au lieu d’être celui d’une faction, une sorte de forteresse dont chaque parti s’empare à son tour pour y déclarer la guerre au pays, devienne enfin la maison de tout le monde et le patrimoine commun de la nation. La république peut seule remplir ce programme ; elle est encore, aujourd’hui comme hier, le seul gouvernement qui puisse être impartial. Elle seule a pu imposer la trêve patriotique, elle seule peut encore la prolonger. Tout le monde peut la servir, jusqu’à ses ennemis eux-mêmes, et tous les jours ils en donnent la preuve. Elle seule peut réunir sous son drapeau tous les vrais conservateurs, tous les amis de la loi, c’est-à-dire, Dieu merci, la majorité du pays, sans que personne ait le droit d’invoquer ses préférences pour manquer à l’appel. Ces vérités ont été tournées en ridicule ; elles n’en restent pas moins profondément vraies. Les ennemis eux-mêmes de la forme républicaine lui rendent cet hommage involontaire, puisqu’en raillant sa faiblesse ils lui laissent volontiers la tâche de sauver le pays, et qu’ils ajournent leurs projets de révolution à l’heure où nos malheurs seront réparés.

La république devrait inspirer d’autant moins de défiances qu’à la différence de la monarchie elle n’appartient pas forcément à telle opinion plutôt qu’à telle autre. Elle appartient naturellement à tous, à tous ceux du moins qui s’occupent des affaires publiques et qui consentent à la soutenir ; elle n’exclut de ses faveurs que ceux qui se font délibérément et publiquement ses ennemis. Elle ne tombera donc aux mains de la démagogie que si les conservateurs lui font une guerre systématique, ou refusent, par un dédain puéril, de s’associer à ses efforts. Elle n’est point démagogique ou conservatrice par essence ; elle est telle que la font les hommes qui