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à une providence, quitte à le maudire et à l’injurier lorsqu’il ne fait pas de miracles, — tant qu’on se contentera de gémir sur la corruption du siècle et de proclamer dans les grands jours. Henri Y à la tribune de l’assemblée nationale, on ne fera que prêter des forces nouvelles au parti que l’on veut combattre, et lui livrer le gouvernement du pays en lui donnant l’occasion de le défendre.

Tant de sagesse est bien difficile dans un pays comme le nôtre, où les partis ressemblent à des sectes religieuses, et où les opinions politiques ne sont la plupart du temps que des préjugés, des terreurs ou des haines. Chez nous, les mots et les formes ont dans tous les partis une incroyable importance, et l’on s’y attache d’autant plus qu’ils dispensent de raisonner. Ainsi la république est pour bien des gens le symbole même du désordre et le synonyme de l’anarchie ; la monarchie en revanche est un talisman merveilleux qui préserve de tous les accidens et qui fait infailliblement le bonheur des peuples. Pour beaucoup de républicains au contraire, le nom seul de la monarchie est une chose abominable, et la république est un âge d’or qu’il suffit de proclamer pour en jouir. Ce sont là de part et d’autre des exagérations puériles, des superstitions ridicules et souvent fatales, que les hommes politiques sérieux devraient combattre au lieu de les encourager et de s’en servir. Ni la république, ni la monarchie n’a le don des miracles ; ni l’une ni l’autre de ces deux formes de gouvernement n’est incompatible avec l’ordre légal, avec la saine liberté et avec la paix sociale. Toutes les deux valent exactement ce que valent les nations qui les adoptent. La monarchie peut être démagogique, tout comme la république peut devenir conservatrice. Comme gouvernement arbitraire, l’une ne vaut pas mieux que l’autre ; comme gouvernement libre, chacune a ses inconvéniens et ses avantages. Dire que la république est impossible en France, c’est dire que la France est perdue, car, s’il est un pays où les conservateurs soient incapables de se sauver eux-mêmes sans le prestige artificiel d’une monarchie de théâtre, non-seulement la république ne peut s’y établir, mais aucune monarchie solide ne parviendra jamais à s’y fonder.

Demandez aux Anglais s’ils préfèrent la monarchie ou la république : ils vous diront que la monarchie est préférable ; mais demandez-leur s’ils sont incapables de vivre en république, et ce qui leur arriverait, si la famille royale venait à s’éteindre : ils ressentiront cette question comme une injure. Quoiqu’ils aient à un plus haut degré que nous le culte de la royauté, ils savent bien que leur existence ne dépend pas d’une famille, mais qu’elle repose sur l’ensemble de leurs institutions et de leurs mœurs publiques. Ils tiennent à la monarchie, parce qu’elle est chez eux traditionnelle, peut-être aussi parce qu’elle possède dans le libre jeu du système