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de l’assemblée ; pourtant, s’il fallait choisir, il n’est pas un homme de bon sens qui ne préférât la dissolution de l’assemblée à la retraite actuelle du président de la république.

Est-ce à dire qu’il faille poursuivre en ce moment la dissolution de l’assemblée nationale ? Gardons-nous bien de commettre une pareille faute et de courir de tels hasards sans une nécessité rigoureuse. Sans doute la dissolution n’est pas en elle-même une entreprise factieuse, c’est une opinion parfaitement licite, et ceux des membres de l’assemblée qui craignent de ne pas être réélus ont seuls le droit d’y voir un attentat contre la souveraineté nationale ; mais une telle mesure, adoptée dans les circonstances présentes, serait inopportune et presque dangereuse. L’assemblée n’a pas encore terminé sa tâche, puisque le territoire n’est pas affranchi ; le pays lui-même a besoin de repos. Toute agitation politique et tout changement de gouvernement qui pourrait s’ensuivre fourniraient à l’Allemagne un prétexte pour aggraver ses exigences et pour nous demander de nouveaux gages. « Il ne faut pas, disait le président Lincoln, changer les chevaux pendant qu’on passe le gué. » Le consentement même de l’assemblée ne pourrait lui être arraché que par la violence ou par une pression morale équivalente à la violence. Pour la décider à se dissoudre, il faudrait ameuter contre elle les passions populaires, et exercer sur elle une intimidation déplorable. Dans ces conditions, la France se partagerait entre la démagogie et la réaction. Les extrêmes resteraient seuls en présence, et les opinions modérées succomberaient partout. Non, la dissolution de l’assemblée n’est pas possible avant la complète libération de notre sol. Alors elle s’accomplira pacifiquement, sous l’empire d’une nécessité reconnue et du consentement de l’assemblée elle-même, sinon sans regrets et sans terreurs, du moins sans colère et sans murmure. Le gouvernement n’aura pas besoin d’exercer sur l’assemblée une intimidation morale ; il lui suffira de venir dire que le pouvoir exécutif, délégué de l’assemblée, associé par elle à sa durée, considère sa tâche comme terminée. Il donnera le choix à l’assemblée de se retirer avec lui ou de gouverner sans lui, et l’assemblée, qui sentira au fond l’excellence du conseil, ne pourra s’empêcher de le suivre.

Pour obtenir plus tard cet acte de sagesse, il ne faut pas essayer de l’emporter dès à présent de vive lutte. Il faut beaucoup de ménagemens pour manœuvrer sans accident au milieu de la confusion de notre droit public. Si l’on reprochait à l’assemblée de prolonger indûment son mandat, elle pourrait répondre qu’elle a reçu du pays un blanc-seing, et qu’elle a le droit d’y inscrire ce qui lui convient. Il s’agit donc ici non pas de déterminer ses droits, mais de lui faire