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moins en paroles, et il serait singulier que les théoriciens de la monarchie constitutionnelle se montrassent moins libéraux que l’empire. Le gouvernement parlementaire n’est qu’une des formes du système représentatif, et il est vicie dans son application dès qu’il est faussé dans son principe. Ce qui fait l’autorité du parlement dans un état libre, ce ne sont pas les formes dont il s’entoure, c’est la force de l’opinion publique, dont il est la représentation présumée. Sitôt qu’il y a doute, le parlement s’en va. Voilà comment l’entendent les Anglais, dont on invoque à tort l’exemple, car ils ont peine à comprendre les prétentions et les subtilités byzantines de nos parlementaires français. A leurs yeux, le devoir du pouvoir exécutif est non point de suivre aveuglément les assemblées dans toutes leurs erreurs, mais de rester d’accord avec l’opinion et de s’appuyer sur elle toutes les fois qu’un conflit s’élève entre le parlement et le pays.

Qu’est-ce d’ailleurs que ce gouvernement personnel, qui est devenu dans l’assemblée la bête noire de toutes les ambitions mécontentes ? Qu’est-ce que cette prétendue tyrannie d’un pouvoir qu’on peut mettre à la porte à chaque instant en cinq minutes, et qui ne se maintient que par l’assentiment quotidien de la majorité ? — Rien de plus naturel assurément, disons même de plus légitime, que l’espèce de jalousie de métier qui règne entre le gouvernement et l’assemblée, et il faudrait connaître bien peu la nature humaine pour en être surpris ; mais de quoi se plaint-on en définitive, puisqu’on reste maître de tout faire ? Si M. Thiers a quelquefois tort d’exercer sur ses partisans une certaine violence morale, ses adversaires, qui la subissent également, ne s’y résignent que parce qu’ils le veulent bien. Ce despotisme de fait est dans la nécessité des choses, dans la force des circonstances, qui obligent l’assemblée à conserver un gouvernement indispensable à la paix publique. Que ce sacrifice soit quelquefois pénible, cela est certain ; qu’il faille un vrai patriotisme pour le faire, cela est certain encore. Peut-être cependant aurait-il plus de valeur, s’il était consenti de meilleure grâce, — si chacun reconnaissait sans vaines récriminations qu’il fait au gouvernement une concession volontaire, accomplie dans toute l’indépendance et toute la plénitude de sa raison. Rendons à l’assemblée l’hommage qu’elle mérite : elle est vertueuse en dépit de toutes les tentations ; mais avouons en même temps qu’elle ne sait pas rendre la vertu aimable, qu’elle ressemble à ces épouses honnêtes qui regrettent leur fidélité conjugale, et qui s’en vengent tous les jours par des querelles ou des menaces.

Si la majorité n’ose pas se décider à chasser M. Thiers du gouvernement, qu’elle s’en prenne à sa propre prudence ; mais qu’elle n’en accuse pas M. Thiers lui-même. Il n’y a pas ici de pouvoir