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presque toujours obstruée à son embouchure. Sur le parcours, les Français voyaient une contrée belle et pourtant à peu près inhabitée ; elle servait de repaire à des bœufs et à d’autres animaux échappés à la domesticité. Plusieurs seigneurs des pays circonvoisins prétendaient être les maîtres de cette solitude ; mais, la région ayant été souvent le théâtre de la guerre, personne n’osait s’y établir et cultiver. Au-delà du Mandreré, c’est le pays des Antandrouis (Ampatres pour Flacourt), une pauvre contrée où il n’existe aucune rivière et où les habitations sont rares. A une certaine distance de la côte, il y a des bois ; sous ces abris, les indigènes construisent des villages si bien entourés de pieux et d’arbres garnis d’épines, qu’il serait impossible de pénétrer dans la place autrement que par la porte. Chaque hameau a son chef, et la contrée est sous l’autorité d’un chef suprême. La guerre éclate fréquemment entre les habitans des divers villages, très enclins à voler les femmes des voisins ; ce sont des hommes, déclare Flacourt, toujours prêts à voler et à piller ; chez eux, les étrangers ne peuvent compter sur aucune hospitalité. On en citait des preuves à l’époque de notre premier essai de colonisation ; un grand navire s’étant échoué dans une baie, les naufragés, pourvus d’argent et de beaucoup d’objets capables d’exciter l’envie des sauvages, étaient tombés dans une foule d’embuscades en s’aventurant dans la campagne. Les Malgaches les tuaient pour s’emparer de ce qu’ils portaient. Dans une autre circonstance, un navire de la Hollande se perdit sur la même côte : un jeune homme seul échappa au désastre ; ayant atteint la grève fort affaibli, il manqua d’être égorgé par les naturels convoitant une carabine suspendue à son côté. Un meilleur sort cependant était réservé au pauvre Hollandais ; le chef du village voisin, arrivant, fit porter l’étranger dans son habitation, et le traita fort charitablement. Le roi des Antanosses, averti de l’événement, envoya prier le chef du village de lui céder l’Européen, en appuyant cette demande du don de treize bœufs. Le jeune homme n’eut point à se plaindre du changement ; il fut comblé, le roi lui donna une maison et une de ses filles pour lui tenir compagnie. Quelque temps après, un navire avec le pavillon de la république batave étant entré dans le port de Manafiafa, le Hollandais fut l’intermédiaire choisi pour les rapports que le prince malgache entretint avec le capitaine ; il en profita pour s’en aller avec ses compatriotes.

Les Français connaissaient d’une manière très imparfaite les sinuosités de la côte méridionale de Madagascar, — Flacourt ne cite en aucune façon le cap Sainte-Marie, — mais par terre ils avaient des relations avec des peuplades du sud que les voyageurs modernes n’ont jamais visitées. A une trentaine de lieues à l’ouest du Mandreré débouche une rivière profonde, le Manambourou,