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embourbé ; la vue d’une machine qui accomplit un acte de force brutale et ne laisse à l’ouvrier qu’une œuvre de surveillance intelligente nous fait éprouver une certaine quiétude. Grâce à la vapeur, le rôle de l’homme est devenu dans nos manufactures plus noble. À ce point de vue, la machine à vapeur est un prodigieux instrument de progrès et de civilisation. Il vaut la peine de l’étudier sous ce rapport ; nous voudrions montrer quelle place elle tient dans l’industrie moderne, quels perfectionnemens elle a reçus en ces derniers temps, et aussi dissiper cette frayeur exagérée qu’elle inspire encore en montrant qu’elle est devenue un outil souple et obéissant.


I

Pour bien saisir le rôle des machines à vapeur dans l’industrie, il faut d’abord savoir combien il y en a, et quelle force elles représentent. En 1800, il existait en France 6 machines d’une force totale de 169 chevaux ; en 1830, on en comptait 616 ; en 1850, 6,832, et en 1864 plus de 25,000. C’est à cette dernière année que s’arrêtent les documens statistiques cités par M. Jacqmin. Comme le nombre s’en accroissait alors de 1,500 à 1,800 par an, on peut admettre qu’il y en a maintenant bien près de 40,000. La force des machines s’évalue, on le sait, au moyen d’une unité factice, le cheval-vapeur, qui correspond à peu près au travail de trois chevaux de trait ou de sept hommes de peine. Les 25,000 machines à vapeur de 1864 représentaient une force motrice d’environ 675,000 chevaux-vapeur ; elles étaient donc l’équivalent de 2 millions de chevaux de trait ou de 5 millions d’hommes. Il est certain que tous les chevaux de trait et toute la population ouvrière de la France appliqués au seul travail moteur des usines, si pareil le chose se. pouvait concevoir, arriveraient bien juste à remplacer la vapeur. D’ailleurs ces évaluations ne sont qu’arbitraires, M. Jacqmin l’observe avec raison. La vapeur agit d’une manière continue et, s’il le faut, avec une vitesse considérable, ce que ne peuvent faire les moteurs animés. Elle peut accumuler en un seul point une puissance prodigieuse. Il est permis de dire qu’une petite machine, vaut autant que 3 chevaux ou que 7 hommes ; mais cette machine marche au besoin vingt-quatre heures par jour sans arrêt, tandis que bêtes et gens devraient se reposer les deux tiers plu temps. Et puis conçoit-on des chevaux traînant un train express avec une vitesse de 60 kilomètres à l’heure ou des hommes faisant tourner l’arbre d’hélice d’un navire transatlantique de 4,000 tonnes ? En réalité, la vapeur est une force nouvelle qui a grandi d’une façon inappréciable la capacité industrielle des pays civilisés. En l’état actuel de