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multipliant les esclaves, il tarit la source naturelle de la richesse, le travail libre et responsable, et en détruisant cette forte race de cultivateurs-propriétaires, à la fois excellens soldats et bons citoyens, qui avaient donné à Rome l’empire du monde, il anéantit le fondement des institutions républicaines et libres. Latifundia perdidere Italiam ! s’écrie Pline, et la décadence irrémédiable de l’empire romain justifie ce mot, qui retentit à travers les siècles comme un avertissement pour les sociétés modernes. La révolution française et la plupart des législateurs du continent se sont inspirés de l’esprit qui a dicté les lois liciniennes et les projets des Gracques ; ils ont voulu créer tout un peuple de propriétaires. Tel était aussi le but des institutions agraires des communautés primitives. Aujourd’hui, en présence du mouvement démocratique qui nous entraîne et des tendances égalitaires qui agitent les classes laborieuses, le seul moyen de prévenir des catastrophes et de sauver la liberté, c’est de favoriser, non de contrarier la diffusion de la propriété.


EMILE DE LAVELEYE.