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avaient toujours un droit de préférence[1]. La partie du territoire commun destinée au pâturage du bétail s’appelait mark ou marke, marca en latin du moyen âge. Comme le pâturage comprenait de beaucoup la plus grande partie du terrain, ce terme s’appliquait aussi à l’ensemble des terres cultivées, des terres vagues et des bois. Quand une tribu occupait une vallée, c’était celle-ci tout entière qui formait la mark. Les contrées colonisées aux limites du territoire germanique s’appelaient aussi des marken. L’Autriche et la Carinthie étaient des marken ; de là vient le nom de marquis, markgraf, chef de la mark. Le mot gau avait à peu près le même sens que mark ; on le retrouve comme terminaison dans le nom d’un grand nombre de districts, dont les gaugrafen ou comtes du gau étaient les chefs. Les limites de la marche étaient indiquées par des pierres, des pieux ou des arbres plantés en grande cérémonie. D’après une coutume très étrange, qui s’est conservée jusqu’à nos jours en Bavière et dans le Palatinat, on amenait comme témoins des enfans à qui on donnait des soufflets, afin que le souvenir de l’acte s’imprimât dans leur esprit d’une façon ineffaçable, et que plus tard ils pussent ainsi en porter témoignage. Une ou deux fois par an, les habitans de la mark, les markgenossen (commarchani), se réunissaient pour visiter solennellement les bornes de la mark et pour les rétablir quand elles avaient été enlevées pu déplacées. Cette visite, qui se faisait à cheval, prit plus tard un caractère religieux. Une procession faisait le tour des champs,- que le prêtre bénissait : des autels étaient dressés près des pierres des limites ; on y déposait l’ostensoir et on y disait la messe. L’antique coutume de l’époque païenne persistait, mais en prenant des formes complètement différentes. Il en fut de même pour un grand nombre de traditions mythologiques.

Chez les Germains comme chez les Hindous, les rapports juridiques et économiques étaient très peu nombreux. Le testament était inconnu en Germanie comme dans l’Inde avant la conquête anglaise. L’hérédité ne s’appliquait qu’à la maison, avec l’enclos attenant, qui était dévolue à l’aîné. Souvent les frères restaient avec lui, et formaient, ainsi une famille patriarcale habitant sous le même toit. Parfois on construisait pour les frères qui se mariaient des habitations séparées dans 1 ! enclos, commun. Quant aux femmes, elles

  1. M. Von Maurer cite un texte très curieux qui prouve que, dans la Gaule conquise, des Germains et des Gallo-Romains formaient une communauté agricole par suite de la possession en commun d’un territoire indivis ; le Gallo-Romain pouvait exercer le droit de préférence. Terram quam Burgondio venalem habet, nullus extraneus Romano hospiti prœponatur, nec extraneo per quodlibet argumentum terram liceat comparare. — Lex Burg., tit. 84,c 2.