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le fort Dauphin, dont le nom éveille encore le souvenir de notre ancienne occupation.

Bien triste est le spectacle de la colonie naissante ; le désordre est partout, loin de s’adonner au travail, les hommes ne songent qu’à mener joyeuse vie ; sans souci d’inévitables représailles, ils se comportent souvent d’une manière indigne avec les habitans. Le chef lui-même, Pronis, tout entier au plaisir, dissipe les approvisionnemens. Les colons se révoltent contre ce misérable gouverneur et le tiennent prisonnier pendant six mois. Délivré et raffermi par un nouveau contingent envoyé de France, Pronis reprend l’autorité ; la sédition éclate de nouveau, mais cette fois le chef, agissant en maître, fait transporter douze des plus insoumis à la grande Mascareigne, que bientôt on appellera l’île Bourbon ; vingt-deux autres s’échappent, et courent chercher l’indépendance à la baie de Saint-Augustin. La Société de l’Orient, informée de l’état des affaires, comprit la nécessité d’y porter remède. Le 4 décembre 1648, Estienne de Flacourt, l’un des directeurs de la compagnie, venait avec le titre de commandant général de l’île de Madagascar remplacer l’inepte Pronis. Homme énergique, éclairé, enclin à l’observation, Flacourt paraissait devoir être le fondateur de la colonie. Plein d’espoir au début, comptant sur des secours réguliers qui lui avaient été promis, il rappelle les exilés et les fugitifs, et se prépare avec conscience à donner une base solide au nouvel établissement. Par malheur, en ce moment la France ne songeait plus aux pays lointains ; — elle était tout entière occupée des actes de la reine-régente et du cardinal Mazarin, des remontrances du parlement, des intrigues des princes et du coadjuteur, des audaces de Mme de Longueville. Pendant sept années, les colons de Madagascar n’eurent aucune nouvelle de la patrie ; découragés par l’abandon, décimés par la maladie, épuisés par les fatigues et les privations, les Français se voyaient chaque jour plus exposés à l’hostilité des indigènes. Dans cette pénible situation, Flacourt néanmoins demeure sans faiblesse ; par des reconnaissances le long des côtes et jusqu’à une certaine distance dans l’intérieur du pays, il se met en mesure de donner pour la première fois des notions exactes sur la grande île africaine.

Il est curieux et instructif de retourner à plus de deux siècles en arrière pour voir de quelle façon un observateur décrivait alors la contrée qui nous apparaît aujourd’hui avec un caractère tout particulier ; c’est un point de départ qui permet d’apprécier le rôle de la science moderne. L’Histoire de la grande isle Madagascar, par le sieur de Flacourt, a paru en 1658[1]. L’auteur, on le sent

  1. 1 volume in-4o, Paris 1658. — Une seconde édition a été publiée en 1661.