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céréale d’été, un autre tiers à la jachère. M. Roscher a démontré que cette opinion est erronée[1]. La culture à cette époque était au contraire au plus haut point extensive, comme le dit Tacite en un trait qui peint fidèlement ce mode d’exploitation, — nec enim cum ubertate et amplitudine soli labore contendunt, ils ne luttent point par le travail avec la fertilité et l’étendue du sol. César avait déjà remarqué que les Germains s’appliquent très peu à l’agriculture et qu’ils ne cultivent jamais deux années de suite la même terre. Les magistrats qui attribuent annuellement aux familles la part qui leur revient les forcent à passer d’une partie à l’autre du territoire. Tacite dit la même chose : Arvaper annos mutant et superest ager, ils cultivent chaque année d’autres champs, et il reste toujours une partie du sol disponible. Pour comprendre ces passages, souvent mal traduits, il faut se rendre compte d’une pratique agricole encore en usage de nos jours dans certains villages qui possèdent de vastes communaux, comme dans les Ardennes en Belgique. Une partie de la bruyère est partagée entre les habitans, qui y obtiennent une récolte de seigle par le procédé de « l’essartage » ou écobuage. L’année suivante, une autre partie du terrain communal est partagée et mise en valeur de la même façon. La partie exploitée est abandonnée à la végétation naturelle ; elle redevient pâture commune pendant dix-huit ou vingt ans, et après ce laps de temps elle est de nouveau « essartée. » Supposez que la population soit assez peu dense pour qu’on puisse attribuer annuellement un hectare à chaque habitant[2], et le village pourra subsister au moyen de ce mode de culture primitif, qui était exactement celui des Germains. il ne sera pas nécessaire de fumer le sol et d’y engager du capital ; l’étendue en tiendra lieu, spatia prœstant, comme dit Tacite. Dans la Sibérie méridionale, c’est ainsi qu’on cultive. Ce mode d’exploitation, tout barbare qu’il paraisse, est cependant le plus rationnel et le plus économique, car c’est celui qui livre le plus de profit net. Tant que l’étendue ne manque pas, à quoi bon accumuler beaucoup de travail et de capital sur un petit espace ? Il est de règle qu’un second capital appliqué à la terre donne relativement moins de revenu que le premier. C’est la densité de la population qui seule rend la culture intensive nécessaire et profitable. On comprend qu’avec

  1. Ansichten der Volkswirthschaft. — Ueber die Landwirthschaft der alttesten Deutschen. — Une traduction de cet ouvrage vient de paraître chez Guillaumin sous le titre de Recherches sur divers sujets d’économie politique, par M. W. Roscher.
  2. En admettant que l’hectare donne 10 hectolitres de blé, il faudrait pour un village de 200 habitans 200 hectares par an, ce qui exigerait pour une rotation de vingt ans un territoire cultivable de 4,000 hectares. Les Germains ayant relativement beaucoup de bétail, il faudrait ajouter encore 1,000 hectares de pâturage et 1,000 hectares de forêts. La densité de la population serait réduite à 3 ou 4 habitans par kilomètre carré ou 100 hectares. À ce compte, l’Allemagne aurait pu avoir 2 millions d’habitans.