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phie sous-marine est devenue le complément de la géographie terrestre.

Si la connaissance du fond des mers est importante au point de vue pratique, combien ne l’est-elle pas davantage sous le rapport scientifique ! J’ai honte, en vérité, de reproduire encore cette distinction surannée, reste de la scolastique du moyen âge et maintenue seulement par la routine obstinée des esprits arriérés sur la route du progrès. Il n’est point de connaissance inutile, et l’application la plus inattendue est souvent le corollaire d’une recherche purement théorique. Étudions donc scientifiquement avec M. Delesse, sans aucune préoccupation pratique, le fond des mers qui baignent notre littoral.

Les matériaux meubles qui reposent au fond des mers ont une double origine. Les uns sont le résultat de la destruction des roches qui bordent les côtes, destruction qui s’opère sous l’influence des agens atmosphériques et de la force destructive des vagues et des marées. C’est ainsi que les falaises crayeuses de la Normandie et des côtes d’Angleterre se démolissent incessamment et s’écroulent dans la mer ; on a exactement mesuré le recul année par année. Les côtes composées de roches dures, telles que les granités du Finistère et du Cotentin, semblent braver le courroux des vagues, et l’action dissolvante de l’eau de mer, aussi bien que celle de la pluie et des gaz de l’atmosphère. Cependant les érosions qui les sillonnent et la nature même du sable du fond de la mer montrent que ces roches se détruisent aussi, mais avec plus de lenteur que les autres : elles ne sont pas absolument réfractaires aux actions multiples dont nous avons parlé.

L’examen du sable de nos côtes prouve ensuite que les grains dont il se compose ne proviennent pas tous des rochers baignés par la mer. Dans le sable d’une côte calcaire, le géologue reconnaît, à l’aide du microscope et de l’analyse chimique, des parcelles de roches étrangères au littoral : du quartz et du mica le long des côtes calcaires, du carbonate de chaux, de la dolomie, sur des côtes granitiques. Ici apparaît le rôle immense des eaux courantes qui se versent dans la mer, des ruisseaux et des petites rivières amenant les débris de terrains situés à une petite distance, des fleuves qui prennent leur source dans l’intérieur des continens, charriant jusqu’aux bords de l’Océan et de la Méditerranée les détritus des roches qui forment les sommets culminans des Alpes et des Pyrénées. On retrouve sans peine dans le sable et les galets des côtes de la Méditerranée, depuis les embouchures du Rhône jusqu’à celle du Lez en face de Montpellier, les variolites arrachées par la Durance aux sommets du Mont-Genèvre, les débris des roches basaltiques du Vivarais et du quartz hyalin, élément de toutes les roches cristallines des Alpes et des Cévennes. Sur cette côte, bordée uniquement de roches calcaires, le sable contient de 90 à 95 pour 100 de silice. Ainsi les dépôts littoraux nous offrent en abrégé la collection de toutes les roches dures des montagnes où les cours d’eau qui aboutissent à la côte ont pris leur origine.