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Allons au fond des choses. Le gouvernement a fait ce qu’il a pu, et il ne se flatte point lui-même assurément d’avoir fait ce qu’il aurait voulu. Il n’y avait point à s’applaudir et à complimenter nos négociateurs sur un succès qui sourit peu sans doute à leur orgueil patriotique. Il n’y avait qu’à enregistrer simplement et tristement. C’est ce qu’a fait M. le duc de Broglie avec une mesure de langage visiblement calculée dans le rapport par lequel il a proposé à l’assemblée la ratification. Peut-être y aurait-il eu un mot de plus à dire pour maintenir l’autorité du gouvernement dans une œuvre qui a bien des phases à traverser encore avant d’arriver à son terme. Telle qu’elle est, la dernière convention signée avec l’Allemagne a eu un malheur : elle a éveillé trop d’illusions avant d’être connue. Puisqu’il s’agissait de la libération de la France, on s’est presque figuré qu’on allait en finir, qu’on touchait au moment où les départemens occupés cesseraient de subir la poignante humiliation d’une garnison étrangère. On n’a pas songé que nous n’étions pas précisément en position de faire prévaloir tous nos désirs, qu’il y avait des résistances à vaincre, qu’il était peu vraisemblable que l’Allemagne renonçât d’un seul coup à des garanties qu’elle a maintenues jusqu’ici avec une jalouse âpreté. On croyait ce qu’on souhaitait, voilà tout. Il en est résulté cette sorte de déception qui a éclaté presque naïvement dès le premier jour, et dont l’esprit de parti s’est peut-être emparé comme d’une arme de plus contre le gouvernement. Était-ce la peine, a-t-on dit, d’aller négocier une convention nouvelle qui ne change rien, qui n’atténue aucune dureté, qui n’allège le fardeau pour les uns que pour le laisser retomber plus pesamment sur les autres, et qui prolonge d’une année l’occupation étrangère. Mieux valait encore s’en tenir au traité qui existait et l’exécuter résolument, mieux valait ne rien dire que de paraître solliciter comme une faveur ce qui ressemble à une aggravation de nos charges.

C’était évidemment l’impression la plus irréfléchie. De toute façon, le gouvernement était obligé de négocier avec l’Allemagne. Le traité de Francfort, précisant et complétant les préliminaires de Versailles, avait fixé les conditions générales de la paix, la durée de l’occupation, l’échéance extrême pour l’acquittement de l’indemnité ; mais il fallait bien en venir toujours à la réalisation pratique de ces conditions. On ne pouvait pas attendre le 2 mars 1874 ; 3 milliards ne se trouvent pas ainsi, on ne les compte pas subitement, instantanément, à jour fixe, et, quel que soit le crédit d’une nation, il faut du temps pour payer. On ne remue pas de telles masses de capitaux sans risquer de produire de véritables commotions dans tous les marchés, sans s’exposer à provoquer des crises monétaires qui réagissent et pèsent sur tous les intérêts. C’était donc une nécessité impérieuse de préparer d’avance cette colossale opération, dont le dernier mot est la libération du territoire français, et puisqu’il fallait tout préparer d’avance le mieux était encore de combi-