Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/455

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On a lu partout ces charmans vers, et nous ne citons les derniers que pour en rappeler la douce musique :

Si je ne vous vois pas comme une belle femme
Marcher, vous bien porter,
Rire, et si vous semblez être une petite âme
Qui ne veut pas rester…..
Je croirai qu’en ce monde, où le suaire au lange
Parfois peut confiner,
Vous venez pour partir, et que vous êtes l’ange
Chargé de m’emmener.

Ce que nous avons recueilli jusqu’ici de pages de ce livre se trouve dans la première moitié ; c’est par là que l’auteur a été le poète de nos malheurs et de nos consolations. Il a mené le deuil de notre gloire et a soutenu notre espérance tant qu’il n’a pas séparé sa cause de celle de la France entière. Il pouvait attacher son nom au souvenir des épreuves de sa patrie : il ne l’a pas voulu. Il a fait un choix entre les partis qui déchirent notre malheureux pays, non-seulement comme citoyen, mais comme poète. Aussitôt sa situation est changée. Il avait dit, en rentrant parmi nous, qu’il ne voulait « aucune part au pouvoir, part entière au danger. » C’était le début le plus heureux, le plus digne de lui ; il prouvait ainsi que dans son exil, dans ses refus persévérans, « il avait la foi et jamais de pensée que pour la France. » Il venait demander en des vers touchans sa part des misères, et, sa mère étant captive, il voulait porter « son anneau de la chaîne. » Généreux mouvement où se confondaient le républicain convaincu et le poète détaché de tout intérêt autre que celui du pays ! Durant cinq mois, il est resté fidèle à ce programme d’un écrivain patriote placé au-dessus des disputes de faction ou de secte. Des douleurs personnelles, une perte affreuse, devaient encore resserrer les liens qui l’unissaient au cœur de la patrie. Il avait dit :

Pour prix de mon exil, tu m’accorderas, France,
Un tombeau.


Et c’était le tombeau de son fils qui allait s’ouvrir ! Comment se fait-il que cette année si triste sans doute, mais si honorable pour lui, allait se terminer d’une manière inattendue, et consommer presque la séparation entre le pays et le poète ?

M. Victor Hugo s’est persuadé qu’il pouvait maintenir l’équilibre entre Paris et Versailles durant le combat, entre la justice et l’humanité après la victoire. Des philosophes, des saints, ont parlé avec autorité dans les guerres civiles ; mais ces guerres civiles n’avaient pas mis aux mains le pouvoir légitime avec des rebelles,