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de Francfort, la partie n’est pas égale. Nous sommes liés par les actes qui ont été signés, nous n’avons pas à solliciter la révision des clauses fondamentales, ce qui serait peu digne et fort inutile ; enfin, puisque la force joue un grand rôle dans les affaires de ce monde, il faut bien reconnaître que nous ne sommes pas en ce moment les plus forts. Ce qu’il nous est permis de tenter et possible d’obtenir, c’est l’examen des dispositions qui se rattachent au mode d’exécution des traités, et l’habileté consiste à découvrir les points sur lesquels l’intérêt de l’Allemagne s’accorde avec celui de la France. Il ne faut jamais perdre de vue cette situation, quand on apprécie l’œuvre si pénible et si ingrate de nos négociateurs. Ne demandons pas au gouvernement français de remporter des succès diplomatiques sur le cabinet de Berlin ; il suffit qu’il soit attentif et empressé à proposer en temps opportun les mesures qui ont pour objet de rendre moins onéreux le paiement de l’indemnité de guerre et de libérer tout ou partie du sol occupé. On doit, à cet égard, tenir compte des sentimens et des intérêts de l’Allemagne.

Les sentimens de l’Allemagne envers la France sont demeurés très hostiles. C’est de l’animosité doublée de défiance. La nation allemande devrait cependant ne pas nous savoir mauvais gré de nos fautes qui, à Sadowa et à Sedan, l’ont faite si grande ! Non, elle ne s’endort pas dans son prodigieux triomphe, elle entend poursuivre jusqu’au bout les avantages que lui a donnés la fortune des armes, et, les yeux tournés vers l’avenir, elle estime que nous ne serons jamais assez vaincus. Ces sentimens subsistent particulièrement dans les provinces de l’ancienne Prusse et dans les pays de l’Allemagne du nord ; ils s’expriment fréquemment à la tribune des assemblées, chaque jour dans la presse, et le langage d’une partie de la presse française n’est pas de nature à les calmer. On se souvient d’un incident mentionné par M. Jules Favre dans son récit de l’entrevue de Ferrières. M. de Bismarck avait sur sa table une collection de journaux parisiens et de caricatures à l’adresse de la Prusse. Il déplia ces feuilles de politique dite illustrée ; il en prit texte pour déclarer que les propositions pacifiques apportées par son interlocuteur étaient inconciliables avec ces excès de plume et de crayon, et que l’entente serait par là rendue bien difficile. Vainement M. Jules Favre lui fit-il observer qu’il n’y avait pas à se préoccuper de pareilles choses, que les articles violens et les caricatures étaient sans portée, et que la politique ne devait pas s’en émouvoir. — C’est une grande erreur, répondit M. de Bismarck. On laisse ainsi l’esprit public se pervertir, et nous n’arriverons à rien de bon, si nous ne prenons pas un système plus sérieux. — Il est possible que, dans cette circonstance, M. de Bismarck, peu désireux de conclure la paix,