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Si la réforme ne fut pas arrêtée dès son premier essor, elle le doit donc à la conduite de ses chefs et de ses plus intelligens adhérons. Le luthéranisme réussit à se faire accepter de ses adversaires, sinon comme une transformation bienfaisante dans l’ordre religieux, du moins comme un fait acquis, et cela, répétons-le, parce qu’il rompit avec le radicalisme théologique, avec l’anabaptisme, avec la démagogie, qui l’eussent précipité dans l’abîme où avaient péri tant d’autres hérésies, qui lui auraient aliéné la faveur des princes allemands, que leur opposition contre le pape et l’empereur disposa dès l’origine à lui prêter secours.

La théocratie des anabaptistes et l’anarchie doctrinale des radicaux en matière de réforme religieuse ont donc été au XVIe siècle un des plus grands périls que l’Allemagne ait traversés ; elles faillirent causer la dissolution soudaine de la société sans apporter aucun des élémens propres à la reconstituer ; elles suscitèrent la révolte contre les principes fondamentaux du christianisme tel qu’il était compris à cette époque ; elles armèrent le vilain contre le noble, le sujet contre son seigneur, le pauvre contre le propriétaire, la raison individuelle contre l’autorité dogmatique incarnée dans l’église ou reposant sur la tradition de l’enseignement théologique. Elles laissèrent la libre carrière aux théories les plus imprudentes et aux rêveries les plus folles ; elles relâchèrent les liens qui assurent l’ordre, la paix et la félicité des états, et, aux maux déjà si nombreux qu’avaient produits les déchiremens intérieurs de l’Allemagne, la lutte des grands, celle de la papauté et de l’empire, elles en ajoutèrent de plus menaçans encore, ceux qu’engendrent la guerre des classes sociales et l’anéantissement des croyances les plus étroitement unies à la moralité publique.

Cependant le péril, s’il était surmonté, n’était pas définitivement écarté. Les germes de l’insurrection religieuse et sociale, victorieusement réprimée en 1525, subsistèrent longtemps, et environ dix années après ils donnèrent naissance à une sédition nouvelle, où reparurent tous les élémens de désordre et toute l’anarchie des idées qui avaient marqué la guerre des paysans. Heureusement cette seconde révolte trouva pour la combattre une Allemagne moins divisée, une société plus raffermie dans sa foi et dans ses principes. Nous voulons parler de la guerre des anabaptistes de Münster, qui éclata en 1534 et 1535, et dont nous retracerons les principales phases.


ALFRED MAURY.