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celui de la liberté, mais d’une liberté toute matérielle, si l’on peut s’exprimer ainsi, la liberté d’aller et de venir, de vendre et d’acheter, d’être maître chez soi, de laisser son bien à ses enfans. Dans ce premier besoin d’indépendance qui agitait les hommes au sortir du chaos où le monde romain avait été comme englouti depuis l’invasion des barbares, c’était la sûreté personnelle, la sécurité de tous les jours, la faculté d’acquérir et de conserver qui étaient le dernier but des efforts et des vœux. « Il faut ajouter que ce désir d’indépendance personnelle ne pouvait attendre sa réalisation que de la complète indépendance de la commune, car ce n’étaient pas de pauvres serfs ou même de riches bourgeois qui pouvaient entrer individuellement en lutte avec les puissans seigneurs féodaux. De là vient pendant le XIIe et le XIIIe siècle la constitution des innombrables petites républiques qui, sous le nom de communes, se partagèrent la souveraineté du territoire. La nécessité de se défendre contre les seigneurs voisins créa pour les villes le droit de lever des troupes, de bâtir des murailles, de faire des traités d’alliance. La nécessité de se soustraire aux exactions féodales fit donner aux magistrats électifs le droit de lever des impôts et de battre monnaie. Les jurats, consuls ou échevins marchèrent entourés de tous les attributs de la souveraineté.

Ainsi la liberté personnelle entraînait la création de nouveaux pouvoirs indépendans. Si les rois de France ne prirent pas, ainsi qu’on l’a répété à tort, l’initiative de ce grand mouvement, ils eurent de bonne heure le mérite de le seconder et de s’en faire une arme pour constituer l’unité nationale, en exigeant peu à peu des communes des concessions qui formèrent la plus grande part de la puissance royale. C’est ainsi que le droit de lever des troupes, de faire la paix et la guerre, de conclure des traités d’alliance, celui de battre monnaie, de lever des impôts, de rendre la justice, furent successivement enlevés aux communes, pour venir former l’apanage de la couronne. Telle fut la grande révolution qui fit passer le pouvoir des seigneurs aux villes pour le restituer définitivement à la royauté, c’est-à-dire à l’état. Cette révolution mit six siècles à s’accomplir. L’assemblée nationale de 1789, en abolissant tous les privilèges, détruisit les derniers vestiges des chartes octroyées aux communes. La revendication de l’autonomie communale s’était transformée dans le principe plus large et plus national du vote de la loi et de celui de l’impôt par les citoyens.

Cette transformation, créant chez nous l’unité de la vie politique, a transporté sur un théâtre plus important les commotions sociales et politiques qui bouleversaient autrefois les communes. Les aspirations populaires, s’agitant dans une sphère plus vaste, ont pris un