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en résistant aux sommations ou aux séductions des partis, c’est lui qui fait encore œuvre de patriotisme, qui se montre le conservateur le plus prévoyant. Les délégués de la droite et du centre droit ont un sentiment trop élevé des choses pour n’être point frappés de tout ce qu’impose de prudence et de réserve la situation de la France, pour ne point reconnaître que, s’ils se sont engagés avec les intentions les plus sincères dans une démarche un peu hasardée, ils se doivent à eux-mêmes d’accepter ce qu’ils ne peuvent pas empêcher, de ne rien faire qui puisse créer de nouveaux embarras, et ils le doivent dans l’intérêt du pays aussi bien que dans l’intérêt des opinions qu’ils représentent.

Qu’on y réfléchisse bien en effet, ce n’est pas seulement une question de patriotisme, c’est une question de conduite et de prévoyance pour les partis conservateurs. Sans doute il est toujours dur de se résigner à un échec quand on a cru faire acte d’autorité et d’influence. Après tout, ce n’est qu’un mécompte d’un moment, qui laisse à toutes les fractions conservatrices de l’assemblée leurs droits, leur puissance, et le temps de conduire jusqu’au bout l’œuvre de réorganisation publique qu’elles doivent accomplir. Tout ce qui peut leur arriver de plus désobligeant et de plus cruel, c’est d’être forcées de tenir compte des circonstances, de rester dans des conditions où elles se rencontreront bientôt de nouveau avec le gouvernement. Et quand il en serait ainsi, en quoi les opinions conservatrices se trouveraient-elles diminuées et auraient-elles un rôle moins utile ? Qu’arriverait-il au contraire, si, sous l’influence d’une déception trop vivement ressentie, on se laissait aller à une hostilité non pas systématique, mais assez arrêtée pour devenir une habitude, presque une règle de conduite, si on cédait à la périlleuse tentation de former un camp à part ? Ici la question change et ne laisse point de devenir grave. Les fractions conservatrices, même réduites à leurs propres forces, sont peut-être la majorité dans l’assemblée, elles le croient, elles n’en sont pas bien sûres ; elles resteraient dans tous les camps une minorité puissante. Supposez donc qu’il s’élève une question où l’existence du gouvernement soit en jeu et où les fractions conservatrices, marchant ensemble, acceptent résolument la lutte : eh bien ! il se peut que l’assemblée soit subitement scindée en deux fractions presque égales, et ce jour-là qu’arrive-t-il ? Il ne reste plus que la dissolution, on ne peut plus évidemment marcher avec une assemblée coupée en deux. Ce qui est possible et régulier dans d’autres temps ne l’est plus aujourd’hui. Il ne suffit pas de quelques voix pour trancher les questions les plus essentielles qui touchent à la constitution, à la réorganisation du pays. La dissolution ! mais c’est la plus grave extrémité à laquelle on puisse se laisser entraîner au moment où nous sommes. C’est l’agitation se répandant de toutes parts pendant quelques mois ; c’est l’incertitude dans nos affaires, c’est le doute pesant sur les intérêts, sur le gouvernement, sur l’avenir, et pendant ce