Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/225

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mieux à faire encore, ce serait de reconnaître qu’on s’est trompé, de reprendre enfin ce travail de la formation d’une majorité dans les seules conditions où l’on puisse réussir, sur le seul terrain où l’alliance de toutes les forces conservatrices et libérales soit possible, le terrain de la situation actuelle franchement et résolument acceptée.

Comment n’a-t-on pas vu qu’en allant ainsi en députation, avec cet apparat et cette solennité, auprès de M. Thiers, on se plaçait soi-même entre un acte d’impuissance, si on échouait, et une déclaration de guerre, — qu’on plaçait d’un autre côté le gouvernement entre une sorte de reddition à merci et l’apparence toujours fâcheuse d’une résistance à une fraction considérable de l’opinion conservatrice ? L’alternative a été plus ou moins éludée, nous en convenons ; le danger n’était pas moins dans cette démarche, dont on n’avait point évidemment calculé la portée, qui pouvait avoir les conséquences les plus graves, les plus immédiates et les plus imprévues, car enfin que serait-il arrivé, si la manifestation avait obtenu tout ce qu’elle demandait en paraissant demander bien peu, si M. le président de la république s’était rendu, même en faisant une capitulation honorable ? Il faut appeler les choses par leur nom : le gouvernement disparaissait, il n’était plus ce qu’il est, une représentation de la France placée jusqu’à un certain point au-dessus des fluctuations des partis ; il était en quelque sorte l’otage et l’instrument de ceux qui venaient lui porter des conditions, qui recevaient sa capitulation ; quoi qu’on en pense, il perdait nécessairement une partie de son crédit et de son autorité aux yeux du pays, aux yeux de l’Europe elle-même. Et dans quel moment recevait-il cette atteinte ? Au moment même où il négocie pour la libération du territoire, où il vient de signer un traité qui affranchit deux département de plus, lorsqu’il va être obligé de s’engager dans une des plus vastes opérations de crédit, un emprunt de 3 milliards, lors qu’enfin il a besoin de tout son sang-froid, de toute son autorité, de toute sa liberté pour suivre jusqu’au bout ce travail diplomatique, financier, qui doit rendre définitivement la France à elle-même.

N’a-t-on pas vu qu’on faisait dans un autre sens ce qu’on a justement reproché aux dernières élections d’avoir fait, qu’on s’exposait à réveiller la crainte de crises nouvelles, à diminuer le gouvernement à l’heure où il a besoin d’apparaître dans toute son intégrité, dans toute sa force ? Qu’on ne se méprenne pas : il ne s’agit nullement de prétendre que M. Thiers est tout, que rien n’est possible sans lui, que la France est perdue, si elle n’a pas M. le président de la république. La France assurément se sauvera toujours, elle n’est pas à la merci du pouvoir d’un homme ; mais enfin les circonstances sont ce qu’elles sont. Le gouvernement tel qu’il est représente le pays dans une des phases les plus critiques de son existence. Ce n’est pas le moment de lui faire des querelles, de paraître le mettre en suspicion, et s’il faut tout dire,