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une masse énorme de produits qu’il a fallu fabriquer en toute hâte. De même la province et l’étranger, privés si longtemps de tous ces articles qui constituent dans le monde entier un des premiers besoins de la vie élégante, ont redemandé à l’envi à l’industrie parisienne de quoi recomposer leurs stocks épuisés. C’est là un des grands élémens d’activité qui avait manqué à la fin de l’année 1848 ; les recettes de nos chemins de fer dans l’avant-dernier semestre, malgré les obstacles de tout genre apportés à la circulation, donnent la mesure de ce mouvement de va-et-vient. Sans compter le chemin de fer de l’Est, dont une grande partie reste malheureusement la propriété de l’Allemagne, les recettes de nos cinq grandes lignes, du Nord, de l’Ouest, de Lyon, d’Orléans et du Midi, ont donné en 1871 comme produit brut 593 millions de francs en chiffres ronds. Pour 1869, le même produit n’avait été que de 560 millions. Si l’on remarque que les quatre premiers mois de 1871 ont été troublés par le second siège de Paris et l’établissement de la commune, c’est un résultat prodigieux, dû entièrement au second semestre.

Le prix du change entre la France et l’étranger et la prime sur l’or fournissent une autre preuve de la reprise extraordinaire du travail au lendemain même des catastrophes. Selon que notre commerce a des sommes importantes à payer au dehors et ne peut les balancer par des créances correspondantes, ou qu’il est principalement vendeur de nos produits sur les marchés voisins, il y a hausse ou baisse sur le prix du papier étranger que l’on veut se procurer pour éviter le transport des espèces. Si aucun négociant à Londres, par exemple, n’était notre débiteur au moment où nous aurions à faire sur cette place un gros paiement, nous devrions acheter chèrement du papier anglais, ne pouvant envoyer de l’or, monnaie légale au-delà de la Manche. La livre sterling au taux normal vaut 25 fr. 20 cent, de notre monnaie. Avec l’indemnité de guerre A payer à la Prusse, qui, à défaut d’or, acceptait du papier étranger et entre autres du papier sur Londres, il était naturel de prévoir que ce taux de 25 fr. 20 cent, serait dépassé, de même que le prix de l’or deviendrait plus élevé. Tout d’abord en effet, on a vu en octobre 1871 le change sur Londres monter à 26 fr. 20 cent, la livre sterling, et l’or se payer 27 fr. 50 cent, les 1,000 francs. Quelle perte énorme devait-on craindre tant à raison de l’indemnité de guerre à solder que des achats du commerce, pressé de fournir à l’industrie les matières nécessaires ! Plus d’un spéculateur avisé crut prudent de devancer la hausse par des achats de papier. Or à la surprise générale, l’or et le change revinrent à leur taux normal, et l’année ne s’était pas écoulée que toute crainte à cet égard avait disparu. Comment expliquer un tel phénomène sinon par un développement