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que la France retrouvât sa libre activité, sa force d’expansion et de production, quelques mois ont suffi en 1871, sinon pour lui rendre le sentiment de la sécurité et le calme de l’esprit, au moins l’ardeur au travail, les facilités de la consommation générale et un développement de richesse matérielle qui semble accuser même un progrès. Étrange spectacle, que l’on peut expliquer par le jeu régulier d’une réaction d’autant plus intense que l’action a été plus forte, — évolution singulière d’une nation faite pour étonner ses ennemis, ses amis, et surtout elle-même, dont il n’est pas indifférent de chercher les causes, et qui prouve au moins que même dans cette effroyable catastrophe le principe de la vie n’a pas été sérieusement atteint !


I

Au point de vue des conséquences purement matérielles, il est facile d’établir la différence des deux grandes crises. On n’a qu’à consulter les cotes de la Bourse, les archives des tribunaux de commerce, la statistique de la rentrée des impôts, le tableau des ventes d’immeubles. Après 1871, peu ou même pas de faillites ; excepté à Paris, où le prix des maisons et des locations a toutefois moins baissé qu’en 1848, la valeur des propriétés n’a nulle part en France diminué, — le contraire serait plus vrai. Au lendemain de février, une baisse générale avait frappé avec les loyers les salaires et les gages : à Paris et dans les départemens, les immeubles étaient partout offerts, la consommation subissait un temps d’arrêt considérable. Il n’en a pas été de même l’an dernier. Les salaires ont monté, les gages atteignent un taux excessif, les objets de luxe se sont vendus dès cet hiver à des prix encore inconnus. On s’est disputé, à la fin de cette même année 1871, les tableaux et les objets d’art au poids de l’or, et les étrangers n’étaient pas seuls enchérisseurs. L’ameublement, la toilette des femmes, la magnificence des équipages, ont repris leurs exagérations ; le turf a revu ses combats et ses paris ; le sport est plus que jamais en honneur. Il semble qu’après dix-huit mois d’épreuve et de jeûne la France ait été saisie de la fièvre de jouissances mondaines qui a rendu le Paris du directoire assez tristement fameux. Après 1848, nous avions été ou plus pauvres ou plus sages, et plus de deux hivers s’étaient passés avant que la capitale eût retrouvé la vie confortable et néanmoins modeste qu’elle menait sous la monarchie sérieuse de la famille d’Orléans.

Mais tout le mouvement de 1871 n’a pas eu pour objet le superflu. La cessation pendant six mois des relations avec Paris a fait affluer à un même moment vers ce grand foyer de consommation