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par un témoignage de pieuse gratitude ce salut inespéré, firent réparer et décorer de peintures la chapelle de Saint-Bernard. Des fresques de petites dimensions renfermées dans des ovales racontent aux yeux différens épisodes de la vie de saint Bernard, surtout ceux de son enfance et de sa jeunesse. La première nous montre la pieuse Aleth conduisant le jeune fils de messire Trecelin aux écoles de Châtillon, qui étaient célèbres alors. C’est ici en effet que Bernard reçut les germes de ce savoir mystique, de cette piété impérieuse et fascinatrice qui peupla de moines les solitudes de Bourgogne, et le rendit l’arbitre religieux de son siècle. C’est ici qu’il eut ses premières visions, et qu’il fut honoré des visites de Jésus « pareil au fiancé qui sort de la chambre nuptiale, » ici qu’il vainquit le diable de la chair, qu’il résista aux mauvais conseils de ses camarades et les convertit par son exemple, ici qu’il trouva, choisit et entraîna les trente compagnons avec lesquels il devait réformer Cîteaux. Ces petites fresques nous racontent tout cela, non sans charme. Le symbole traditionnel du génie et de l’existence de Bernard n’y a pas été oublié, c’est-à-dire ce chien blanc à dos roussâtre dont sa mère Aleth rêva qu’elle accouchait lorsqu’elle était enceinte de lui. Au-dessous se lit cette devise : bonus canis, cusios domus Dei, bon chien de garde de la maison de Dieu. Nul symbole n’a jamais été plus expressif, nulle devise n’a jamais été traduction plus fidèle d’un grand caractère. Toute la vie de Bernard ne fut en effet qu’une garde perpétuelle autour du sanctuaire pour éloigner les larrons audacieux ou reconnaître les rôdeurs suspects. Le schisme, l’hérésie, le libertinage mondain, le rationalisme naissant, le pape Anaclet, Guillaume de Poitiers, l’empereur Conrad, Abélard, Arnaldo de Brescia, connurent tour à tour la puissance formidable de ses aboiemens. Nous aurons assez d’occasions de rencontrer saint Bernard en Bourgogne ; contentons-nous aujourd’hui de rafraîchir en notre mémoire les incidens de la jeunesse de ce grand homme devant les fresques qui nous les retracent en cette chapelle où il s’est oublié lui-même dans la prière et l’extase. S’il y a un coin qui soit saint en Bourgogne, c’est bien celui-là, car le plus grand homme du XIIe siècle y reçut le mandat de sa vocation divine.

L’intérêt de Saint-Vorle serait exclusivement historique, s’il ne contenait une œuvre d’art du terroir même, un saint-sépulcre d’un artiste châtillonnais nommé Dehors. Serait-ce par allusion plaisante au nom peu commun de l’artiste qu’on a placé son ouvrage dans le couloir d’entrée, hors de l’église proprement dite et presque hors de la porte ? L’œuvre n’en est pas plus mal placée d’ailleurs, car le demi-jour qui l’éclaire dans l’espèce de grotte où elle est exposée