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le village, comme groupe ou corporation, conserve encore une sorte de domaine éminent. Pas plus chez les Hindous que chez les Germains le testament n’était en usage. Dans la communauté, il n’y avait place ni pour l’hérédité, ni pour le legs. Plus tard, quand la propriété individuelle s’introduisit, la coutume régla la transmission des biens.

Comme le remarque M. Maine, dans l’association naturelle du village primitif, les relations économiques et juridiques sont bien plus simples que dans l’état social dont le droit romain à l’origine et la loi des douze tables nous ont conservé l’image. La terre n’est ni vendue, ni louée, ni léguée. Presque tous les contrats sont inconnus. Le prêt d’un capital moyennant intérêt n’est même pas soupçonné. Les denrées seules sont l’objet des transactions usuelles, et en ceci même la grande loi économique de l’offre et de la demande a peu d’action. Les services sont rendus par voie de fonction plus que par voie d’échange. La concurrence n’existe pas ; la coutume détermine les prix. Cette règle universelle parmi nous qui consiste à vendre le plus cher et à acheter le meilleur marché possible ne peut même être comprise. Chaque village et presque chaque famille se suffit. L’existence des hommes a quelque chose de la vie végétative.

Dans le dessa de Java, dans le mir russe, nous saisissons sur le vif la civilisation à son premier âge, au moment où le régime agricole succède au régime pastoral et nomade. Le village hindou est déjà sorti de la communauté, mais il en conserve encore de nombreux vestiges. Il faut montrer maintenant que les peuples européens sont partis du même point et ont passé par les mêmes phases de développement ; nous verrons ainsi que, malgré la diversité des événemens extérieurs, certaines lois profondes ont présidé partout à révolution économique des sociétés humaines.


EMILE DE LAVELEYE.