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pas pour les éclairer sur des institutions et des coutumes si différentes de celles de l’Europe moderne. C’est tout récemment seulement que l’on a apprécié l’importance de cette antique organisation, même pour l’administration actuelle.

Dans ses rapports avec l’état, le village est considéré comme une unité solidaire. Cette unité, ce corps possède la forêt et les terrains non cultivés, comme propriété indivise, dont tous les habitans ont droit de jouir. La terre arable n’est plus commune, comme à Java ou en Germanie au temps de Tacite. Les lots appartiennent en propre aux familles[1], mais ils doivent être cultivés suivant certaines règles traditionnelles qui s’imposent à tous. Chaque famille est gouvernée par un patriarche exerçant une autorité despotique. Le village est administré par un chef parfois élu, parfois héréditaire. Dans les villages où les anciennes coutumes se sont maintenues, l’autorité appartient à un conseil qui est considéré comme représentant les habitans. Les métiers les plus nécessaires, comme ceux de maréchal, de corroyeur, de cordonnier, les fonctions de prêtre, de secrétaire-trésorier, sont exercés héréditairement par certaines familles à qui on accorde la jouissance d’un lot de terre comme honoraire. Les soldats de l’in-delta en Suède reçoivent de même pour s’entretenir un champ et une maison. En Angleterre, des traces nombreuses[2] prouvent qu’autrefois il existait une coutume tout à fait semblable à celle de l’Inde : exemple bien remarquable de la persistance de certaines institutions à travers les âges et les migrations.

Cette association intime qui forme le village hindou repose encore aujourd’hui sur le sentiment de la famille, car parmi ses habitans règne la tradition ou du moins l’idée qu’ils descendent d’un ancêtre commun : de là l’interdiction très générale de vendre sa terre à un étranger. Quoique la propriété privée soit déjà reconnue,

  1. Cependant M. Maine nous apprend que, dans les provinces centrales, les communes transportent quelquefois toutes les cultures d’une partie à l’autre de leur territoire, et alors il se fait une répartition nouvelle des terres. La partie abandonnée redevient un pâturage ou un jongle communal. Parmi les populations de sang aryen, la coutume du partage périodique a disparu ; mais M. Maine dit que le souvenir en est resté si présent qu’on entend souvent regretter l’ancienne coutume. Il pense que la communauté cédait naturellement la place à la propriété privée quand les Anglais ont occupé le pays. La conquête et l’influence ; des idées européennes n’ont fait que hâter et généraliser la transformation.
  2. M. Nasse cite, d’après l’Archœologia de M. Williams, un manoir dont les prairies divisées en parts ou ham étaient réparties annuellement entre les habitans. Parmi ces parts, l’une s’appelait the Smith’s ham, l’autre the Steward’s ham, une autre encore the constable’s ham. L’ancien registre anglais, le Boldan book, datant de 1183, parte des artisans en indiquant le lot de terre qu’ils recevaient pour leurs service, ainsi N. N. faber tenet 6 ocras pro servitio suo.