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disproportion d’âge qui existe fréquemment entre les époux en est un autre ; cette disproportion est le résultat du régime patriarcal de la famille. La main-d’œuvre est rare en Russie et relativement très chère. Chaque famille a ainsi intérêt à trouver parmi ses membres le nombre de bras nécessaires pour faire valoir la part de terre qui lui revient. Le chef de la famille s’empresse donc de marier ses fils le plus tôt possible ; afin que la jeune femme remplisse l’office d’une servante à qui il faudrait donner de forts gages. On marie ainsi des jeunes garçons de huit et dix ans à des filles de vingt-cinq ou trente ans ; on dit même qu’il n’est pas rare de voir de jeunes mariées porter leurs maris sur les bras. Il résulte de ces mariages mal assortis deux conséquences très fâcheuses. D’abord la femme touche au déclin quand le mari arrive à la fleur de l’âge. En second lieu, le chef de famille néglige sa compagne surannée et abuse de l’influence qu’il exerce sur la femme de son fils trop jeune pour jouir de ses droits ou pour les faire respecter. Il s’établit ainsi une promiscuité incestueuse, conséquence du servage, comme d’autres genres d’immoralité l’ont été de l’esclavage dans l’antiquité et en Amérique. Depuis l’émancipation, ce désordre devient, dit-on, moins fréquent, parce que les jeunes ménages refusent de se soumettre plus longtemps à la prérogative ultra-patriarcale que le chef de la maison exerçait. Quoique les fêtes de village se terminent d’ordinaire par des jeux et des débauches où l’ivrognerie et une lascivité grossière se donnent pleine carrière, le nombre des naissances illégitimes est moins grand en Russie qu’ailleurs, car il ne s’élève qu’à 3 1/2 pour 100. On pourra en conclure que l’immoralité n’est pas telle que la dépeignent certains auteurs ; mais ceux-ci prétendent que les conséquences de l’inconduite ne sont prévenues que par des pratiques plus condamnables encore[1].

On le voit, l’accroissement de la population, que le partage des

  1. M. Michell s’exprime sur ce point dans les termes suivans : « It is notorious that the statistics of illegitimate births in Russia are kept down by the great prevalence of certain practices in Russian villages, in most of which may be found one or more women who, failing the effects of herbs, resort to a process popularly called vytiranié. »